Vie de Franklin | Page 3

F.A.M. Mignet
transmettait héréditairement de père en fils par ordre de
primogéniture. Depuis la révolution qui avait changé la croyance
religieuse de l'Angleterre, cette famille avait embrassé les opinions
simples et rigides de la secte presbytérienne, laquelle ne reconnaissait,
ni comme les catholiques la tradition de l'Église et la suprématie du
pape, ni comme les anglicans la hiérarchie de l'épiscopat et la
suprématie ecclésiastique du roi. Elle vivait très-chrétiennement et
très-démocratiquement, élisant ses ministres et réglant elle-même son
culte. Ce furent les pieux et austères partisans de cette secte qui, ne
pouvant pratiquer leur foi avec liberté dans leur pays sous le règne des
trois derniers Stuarts, aimèrent mieux le quitter pour aller fonder, de
1620 à 1682, sur les côtes âpres et désertes de l'Amérique
septentrionale, des colonies où ils pussent prier et vivre comme ils
l'entendaient. La religion rendue plus sociable encore par la liberté, la
liberté rendue plus régulière par le sentiment du devoir et le respect du
droit, furent les fortes bases sur lesquelles reposèrent les colonies de la
Nouvelle-Angleterre et se développa le grand peuple des États-Unis.

Le père de Benjamin Franklin, qui était un presbytérien zélé, partit pour
la Nouvelle-Angleterre à la fin du règne de Charles II, lorsque les lois
interdisaient sévèrement les conventicules des dissidents religieux. Il se
nommait Josiah, et il était le dernier de quatre frères. L'aîné, Thomas,
était forgeron; le second, John, était teinturier en étoffes de laine; le
troisième, Benjamin, était, comme lui, teinturier en étoffes de soie. Il
émigra avec sa femme et trois enfants vers 1682, l'année même pendant
laquelle le célèbre quaker Guillaume Penn fondait sur les bords de la
Delaware la colonie de Pensylvanie, où son fils était destiné à jouer,
trois quarts de siècle après, un si grand rôle. Il alla s'établir à Boston,
dans la colonie de Massachussets, qui existait depuis 1628. Son ancien
métier de teinturier en soie, qui était un métier de luxe, ne lui donnant
pas assez de profits pour les besoins de sa famille, il se fit fabricant de
chandelles.
Ce ne fut que la vingt-quatrième année de son séjour à Boston qu'il eut
de sa seconde femme, Abiah Folgier, Benjamin Franklin. Il s'était
marié deux fois. Sa première femme, venue avec lui d'Angleterre, lui
avait donné sept enfants. La seconde lui en donna dix. Benjamin
Franklin, le dernier de ses enfants mâles et le quinzième de tous ses
enfants, naquit le 17 janvier 1706. Il vit jusqu'à treize de ses frères et de
ses soeurs assis en même temps que lui à la table de son père, qui se
confia dans son travail et dans la Providence pour les élever et les
établir.
L'éducation qu'il leur procura ne pouvait pas être coûteuse, ni dès lors
bien relevée. Ainsi Benjamin Franklin ne resta à l'école qu'une année
entière. Malgré les heureuses dispositions qu'il montrait, son père ne
voulut pas le mettre au collège, parce qu'il ne pouvait pas supporter les
dépenses d'une instruction supérieure. Il se contenta de l'envoyer
quelque temps chez un maître d'arithmétique et d'écriture. Mais s'il ne
lui donna point ce que Benjamin Franklin devait se procurer plus tard
lui-même, il lui transmit un corps sain, un sens droit, une honnêteté
naturelle, le goût du travail, les meilleurs sentiments et les meilleurs
exemples.
L'avenir des enfants est en grande partie dans les parents. Il y a un

héritage plus important encore que celui de leurs biens, c'est celui de
leurs qualités. Ils communiquent le plus souvent, avec la vie, les traits
de leur visage, la forme de leur corps, les moyens de santé ou les causes
de maladie, l'énergie ou la mollesse de l'esprit, la force ou la débilité de
l'âme, suivant ce qu'ils sont eux-mêmes. Il leur importe donc de soigner
en eux leurs propres enfants. S'ils sont énervés, ils sont exposés à les
avoir faibles; s'ils ont contracté des maladies, ils peuvent leur en
transmettre le vice et les condamner à une vie douloureuse et courte. Il
n'en est pas seulement ainsi dans l'ordre physique, mais dans l'ordre
moral. En cultivant leur intelligence dans la mesure de leur position, en
suivant les règles de l'honnête et les lois du vrai, les parents
communiquent à leurs enfants un sens plus fort et plus droit, leur
donnent l'instinct de la délicatesse et de la sincérité avant de leur en
offrir l'exemple. Et, au contraire, en altérant dans leur propre esprit les
lumières naturelles, en enfreignant par leur conduite les lois que la
providence de Dieu a données au monde, et dont la violation n'est
jamais impunie, ils les font ordinairement participer à leur imperfection
intellectuelle et à leur dérèglement moral. Il dépend donc d'eux, plus
qu'ils ne pensent, d'avoir des enfants sains ou maladifs, intelligents ou
bornés, honnêtes ou vicieux, qui vivent bien ou mal, peu ou beaucoup.
C'est
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