Promenades autour dun village | Page 7

George Sand
rauque de cet instrument fit merveille. Nos petits sauvages
s'enfuirent à toutes jambes, en proie à une frayeur indicible, et le plus
petit, beuglant et pleurant comme un veau, se laissa choir en criant
merci. Il fallut aller le relever et le consoler.
Le dîner fut excellent, le café fort passable, l'hôtesse très-obligeante et
très-empressée.
La promenade du lendemain fut réglée, des mesures prises pour le
réveil et le départ. Puis nous descendîmes le village, chacun une
lumière à la main, précaution indispensable pour la première fois dans
ces rues difficiles; et notez que nous avions trouvé de la bougie,
sybarites que nous étions!
Notre rue est la plus encaissée et la plus enfouie du bourg, dans une
coulisse de rochers; d'un côté les ruines de la forteresse, de l'autre une
série de petites cours ouvertes, que l'on pourrait appeler des squares,
fermés au fond par le roc qui se relève brusquement, et par un ruisselet
d'eau vive, à peu près muet en cette saison, mais grouillant et joyeux à

la moindre pluie.
Les maisonnettes sont généralement disposées par trois, soudées
ensemble, faisant face à deux ou trois autres toutes pareilles.
Cela fait cinq ou six familles se voyant les unes chez les autres à toutes
les heures du jour, élevant ensemble marmots, poules et pigeons, tout
cela s'échelonnant sur les perrons ou se groupant dans la cour commune
de la façon la plus pittoresque.
Voilà donc un vrai village, non pas un village d'opéra-comique
d'autrefois, lorsque les bergères avaient des robes de satin et les
moutons des rubans roses, mais un village d'opéra-comique moderne,
c'est-à-dire un décor à la fois charmant et vrai, un décor de Rubé et
consorts, permettant une mise en scène heureuse et naïve, des détails
empruntés avec amour à la nature; du réalisme comme il faut en faire,
en choisissant dans le réel ce qui vaut la peine d'être peint: une petite
ogive basse sur le ruisseau, un fond dont le toit en tourelle disparaît
sous les fleurs sauvages, un buisson heureusement jeté sur les
décombres, que sais-je?
L'art aime et voit aujourd'hui tout ce qui est naïf, même la brouette
cassée qui, avec une urne renversée, compose un tableau sur le fumier
blond où le coq se promène d'un air aussi vaniteux que s'il foulait un
tapis de pourpre, et où la poule gratteuse et affairée semble toujours
absorbée dans la recherche de cette fameuse perle dont elle ne saurait
que faire.
Sentir que tout est du ressort de l'artiste, voilà, quant à moi, tout ce que
je peux entendre au mot de réalisme, arboré comme une nouveauté par
les uns, et repoussé comme une hérésie par les autres.
Mais laissons les discussions littéraires. J'y reviendrai certainement, car
il y a beaucoup à dire en faveur d'un certain sentiment de la réalité qui
peut être trop dédaigné, et contre ce même sentiment poussé trop loin.
Continuons notre exploration.

Celle de l'appartement ne fut pas longue; au dehors, la lune avait un si
mince croissant d'argent, qu'il n'y avait pas à regarder beaucoup par la
fenêtre. Tout était sombre. La porte ne fermant pas, il était bien évident
que le vol était chose inconnue en ce pays.
--Que les misanthropes disent ce qu'ils voudront, qu'ils raillent
amèrement ceux qui croient encore à la vie rustique; voici, me disais-je,
une porte sans loquet qui répond victorieusement. Cette maison
appartient à quelqu'un qui ne l'habite pas, qui demeure à l'autre bout du
village et qui y laisse un petit mobilier sous la bonne foi publique. La
cour n'a aucune espèce de clôture: s'il n'y a pas un seul larron sur sept
cents habitants, c'est toujours quelque chose, il faut en convenir.
Le silence de la nuit fut inouï. Pas un souffle dans l'air et pas un souffle
humain; pas un bruissement d'animal quelconque. Je croyais avoir
trouvé chez nous l'idéal du silence nocturne. Mais notre silence est un
vacarme à côté de celui-ci. Je ne m'en suis pas encore rendu compte.
Dans un si petit espace rempli de gens et de bêtes, vivant, pour ainsi
dire, en un tas, d'où vient que rien ne bouge et ne transpire? Avec cette
nuit sombre, c'était presque solennel.
Mais à peine fit-il jour, que les coqs vinrent chanter à notre porte. Si
nous ne l'eussions soutenue d'une chaise, pour nous préserver du frais
de la nuit, toutes les volailles du pays seraient entrées chez nous pour
nous annoncer l'approche du soleil. Et puis des voix d'enfants espiègles
et rieuses chantèrent avec les oiseaux, dès que les rayons du matin
dépassèrent le haut du rocher.
Je regardai la maison neuve et propre qui nous faisait face. C'est l'école
communale. Fillettes et garçons arrivaient en belle humeur, et le pauvre
petit instituteur, bossu comme Ésope, assis, je ne sais comment, sur son
escalier en
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