en route de beaux ceps. Tout cela
était fort alléchant pour des gens affamés, même ces pauvres poulets
qui couraient encore. Mais il fallait une cuisine et une femme; car
aucun de nous ne possédait les utiles talents de l'auteur des Impressions
de voyage.
--De quoi diable vous inquiétez-vous? dit le guide. Il y a ici une
auberge dont la maîtresse cuisinerait pour un archevêque. C'est elle qui
vous prêtera les chambres où vous voilà, à condition que vous irez
dîner chez elle, en haut du village. Est-ce convenu? restez-vous ici? Je
vas commander la soupe. En attendant, descendez ce chemin, et vous
vous trouverez à la rencontre de la petite rivière et de la grande.
Restez-y une heure et revenez: tout sera prêt, même le café, car je me
souviens que vous n'aimez point à vous passer de ça.
--Mais je me reconnais très-bien, lui dis-je; il n'y a point de pont en bas
du village.
--Si fait, il y en a un maintenant. Allez devant vous.
Nous trouvâmes le chemin rapide, mais commode, le pont très-joli et le
confluent des deux torrents admirable de fraîcheur et de mystère.
Le soleil était déjà couché pour nous, il était descendu derrière les
rochers qui nous faisaient face; mais, au loin, il envoyait, à travers ses
brisures, de grandes lueurs chaudes et brillantes sur les fonds
d'émeraude de la gorge.
Quand on est tout au fond de cette brèche qui sert de lit à la Creuse,
l'aspect devient quelquefois réellement sauvage. Sauf les pointes
effilées de quelques clochers rustiques qui, de loin en loin, se dressent
comme des paratonnerres sur le haut du plateau, et quelques moulins
charmants échelonnés le long de l'eau, avec leurs longues écluses en
biais ou en éperon, qui rayent la rivière d'une douce et fraîche
cascatelle, c'est un désert.
Pour peu que l'on se trouve engagé dans un de ses coudes rocailleux,
assez escarpés pour ne pas livrer passage aux troupeaux, on se croirait
au sein d'une nature âpre et désolée. Mais, un peu plus loin, la rivière
tourne, et la scène change. Le ravin s'adoucit un instant et laisse couler
des zones d'herbe fraîche et de beaux arbres, jusqu'à de délicieuses
pelouses, où les pieds meurtris se reposent dans du velours. Et puis ce
sont de longues flaques de sable fin et humide où croissent des plantes
exquises, diverses espèces de sauges et de baumes, et ces grandes
menthes aux grappes lilas, dont les mouches, les papillons et les
coléoptères semblent se disputer le nectar avec une sorte de rage.
Tout ce monde-là était endormi pendant que le soleil s'en allait, et on ne
voyait plus voler que le satyre janira, ce papillon si abondant dans toute
la France, hardi et pullulant comme le moineau, dont il a la couleur
brune, et qui, comme lui, se couche tard, après avoir fait beaucoup de
façons et essayé beaucoup de gîtes.
La Creuse occupe déjà un lit assez large dans ces parages; elle est
presque partout semée de longues roches aiguës, qu'un léger sédiment
blanchit au temps des crues. Quelquefois ce sont des crêtes quartzeuses,
d'un vrai blanc de marbre, qui se dressent au milieu du sol primitif: on
croirait pouvoir la franchir partout aisément en sautant de pierre en
pierre; mais, vers son milieu, elle a presque toujours un canal rapide
assez profond.
Chaque moulin a son petit bateau, qui peut transporter quelques
individus d'une rive à l'autre; mais rarement les propriétaires occupent
les deux rives, et le besoin de communiquer entre eux se fait peu sentir
aux habitants des deux plateaux, si bien que, d'un côté à l'autre du
précipice, on passe très-bien plusieurs années sans se connaître et sans
nouer de relations, du moins dans la partie qui s'étend de la grande
ruine de Châteaubrun au point où nous étions.
Nous rêvions fort tranquillement sur les îlots de roches du rivage,
quand nous fûmes assaillis par les naturels du pays sous la forme de
quatre gamins occupés, ou plutôt nullement occupés à garder quatre
cochons. Chacun avait le sien par rang de taille, et le dernier bambin
avait la gouverne du cochon de lait.
Les cochons étaient bien sages, les enfants l'étaient moins; ils
accoururent autour de nous, criant, hurlant, gambadant et nous
montrant quatre effroyables petits museaux qui semblaient écorchés à
vif et baignés d'un sang noirâtre, le tout dans l'évidente intention de
nous effrayer.
C'est un divertissement bien connu chez nous que ce barbouillage avec
le jus des guignes noires qui pendent au-dessus des buissons et
jonchent la terre à leur maturité.
Amyntas répondit à ce défi par un prodige non moins terrible.
Il tira de sa poche un de ces petits cornets qui servent à se rappeler
quand on est trop éparpillé à la promenade, et dont nous sommes
toujours munis.
Le cri

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