Promenades autour dun village | Page 5

George Sand
d'une
petite fenêtre soutenue par un meneau déjeté, en vrai granit taillé en
prisme.
La porte cintrée est enfoncée sous le balcon de bois du premier étage et
sous l'avancement de l'escalier, lequel est formé de gros blocs
irréguliers à peine dégrossis.
Une vigne folle court sur le tout et complète la physionomie pittoresque
de cette élégante et misérable demeure, dont un appendice écroulé gît à
son flanc depuis des siècles, sans qu'il soit question d'ôter les
décombres.
Au reste, cette maison, dans ses dispositions générales, paraît avoir
servi de modèle à toutes celles du village. Sauf les grands pignons, qui
ont été remplacés par des toits tombants, communs à plusieurs
habitations mitoyennes, toutes sont construites sur le même plan.

Le rez-de-chaussée, avec une porte à cintre surbaissé, ou à linteau droit,
formée d'une seule pierre gravée en arc à contre-courbe, n'est qu'un
cellier dont l'entrée s'enfonce sous le balcon du premier étage,
quelquefois entre deux escaliers de sept à huit marches assez larges,
descendant de face. Au premier, une ou deux chambres; au-dessus, un
grenier dont la mansarde en bois ne manque pas de caractère.
Beaucoup de ces maisons paraissent dater du XIVe ou du XVe siècle.
Elles ont des murs épais de trois ou quatre pieds et d'étroites fenêtres à
embrasures profondes, avec un banc de pierre posé en biais. On a
presque partout remplacé le manteau des antiques cheminées par des
cadres de bois; mais les traces de leurs grandes ouvertures se voient
encore dans la muraille.
Les chambres de ces vieilles maisons rustiques sont mal éclairées,
d'autant plus qu'elles sont très spacieuses. Le plafond, à solives nues,
est parfois séparé en deux par une poutre transversale et s'inclinant en
forme de toit, des deux côtés. Le pavé est en dalles brutes, inégales et
raboteuses. L'ameublement se compose toujours de grands lits à dossier
élevé, à couverture d'indienne piquée, et à rideaux de serge verte ou
jaune sortant d'un lambrequin découpé, de hautes armoires très-belles,
de tables massives et de chaises de paille. Le coucou y fait entendre son
bruit monotone, et les accessoires encombrent les solives: partout le
filet de pêche et le fusil de chasse.
Il y a, dans ce village, des constructions plus modernes, des
maisonnettes neuves et blanches, crépies à l'extérieur, et dont les
entourages, comme ceux du château, sont en brique rouge.
Grâce à leurs petits perrons et aux vignes feuillues qui s'y enlacent,
elles ne sont pas trop disparates à côté des constructions primitives qui
montrent leurs flancs de pierres sèches d'un brun roux, leurs toits de
vieilles tuiles toutes pareilles de ton et de forme à cette pierre plate du
pays, et leurs antiques encadrements de granit à pans coupés. La
couleur générale est sombre mais harmonieuse, et les grands noyers
environnants jettent encore leur ombre à côté de celle des ruines de la
forteresse.

--Les maisons sont chères ici, nous dit notre guide. Vous voyez, il n'y a
pas de place pour bâtir: le rocher ne veut pas.
--Qu'est-ce que vous appelez chères, dans ce pays-ci?
--De cinq cents à mille francs, suivant la bonté de la carcasse.
--Croyez-vous qu'on pourrait trouver ici des chambres pour passer la
nuit?
--Tenez! dit-il en marchant devant nous pour ouvrir une porte qui
n'avait pas de gâche à la serrure, regardez si ça vous convient.
Nous montâmes l'inévitable perron, dont les rampes sont toujours
revêtues de grands carrés de micaschiste jaune brun ou de galets
granitiques des bords de la Creuse, ce qui rappelle les constructions
pyrénéennes en dalles de basalte et en cailloux des gaves.
Nous trouvâmes là deux petites chambres blanchies à la chaux,
plafonnées en bois brut, meublées de lits de merisier et de grosses
chaises tressées de paille. C'est très-propre. Nous voilà logés.

III
Il s'agissait de dîner.
--Dîner? s'écria Moreau. La belle affaire! Regardez! le village est
rempli de poules et de poulets qui ne sont pas farouches. On en aura
vite attrapé deux ou trois. Voyez combien de vaches rentrent du pré!
Chacun a la sienne, tout au moins. Croyez-vous qu'on manque ici de
lait et de beurre? Et les oeufs! Il n'y a qu'à se baisser pour en ramasser.
Enfin la Creuse n'est pas loin. Je m'y en vas donner un coup d'épervier,
et, si je ne vous rapporte pas une belle truite, à tout le moins je
trouverai bien une belle friture de tacons.
Or, le tacon est le saumon en bas âge; les saumons de mer, remontant la
Loire, viennent frayer dans les eaux vives de la Creuse, et ce n'est point

là un mets à dédaigner. On n'a pas encore à se tourmenter ici de
pisciculture, à moins que ce ne soit pour étudier les procédés de
l'ingénieuse et bonne nature, afin de les appliquer en d'autres pays.
Outre ce menu, nous avions cueilli
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 59
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.