Promenades autour dun village | Page 4

George Sand
jusque vers la lit d'un délicieux petit torrent dont, à
peu de distance, les eaux se perdent encore plus bas dans la Creuse.
C'est un petit chef-d'oeuvre que l'église romano-byzantine. La
commission des monuments historiques l'a fait réparer avec soin. Elle
est parfaitement homogène de style au dehors et charmante de
proportions.
À l'intérieur, le plein cintre et l'ogive molle se marient agréablement.
Les détails sont d'un grand goût et d'une riche simplicité. On descend
par un bel escalier à une crypte qui prend vue sur le ravin et le torrent.
Mais, des curieuses fresques que j'ai vues autrefois dans cette crypte, il
ne reste que des fragments épars, quelques personnages vêtus à la mode
de Charles VII et de Louis XI, des scènes religieuses d'une laideur
naïve et d'un sens énigmatique. Ailleurs, quelques anges aux longues
ailes effilées, d'un dessin assez élégant et portant sur la poitrine des
écussons effacés. Malgré la sécheresse de la roche, l'humidité dévore
ces précieux vestiges. Quelque source voisine a trouvé assez
récemment le moyen de suinter dans le mur où j'ai encore vu, il y a
trente ans, les restes d'une danse macabre extrêmement curieuse. Les
personnages glauques semblaient se mouvoir dans la mousse verdâtre
qui envahissait le mur: c'était d'un ton inouï en peinture et d'un effet
saisissant.
Le Christ assis, nimbé entièrement, qui surmonte le maître-autel de la
nef supérieure, est d'une époque plus primitive, contemporaine, je crois,
de la construction de l'église. Je l'ai toujours vu aussi frais qu'il l'est
maintenant, et je suppose qu'il avait été, dès lors, restauré par quelque
artiste de village, qui lui a conservé, par instinct, conscience ou
tradition, sa naïveté barbare. Tant il y a qu'on jurerait d'une fresque
exécutée d'hier par un de ces peintres gréco-byzantins qui, en l'an 1000,
parcouraient nos campagnes et décoraient nos églises rustiques.

II
Le tombeau de Guillaume de Naillac, seigneur du lieu au XIIIe siècle,
représente un personnage couché, vêtu d'une longue robe, l'aumônière
au flanc, la tête appuyée sur un coussin que soutiennent deux angelots.
Sa colossale épée repose près de lui; à ses pieds est le léopard passant
de son blason.
Il y a trente ans, ce sévère personnage était encore en grande vénération,
sous le nom grotesque et la renommée cynique d'un certain saint que
l'on ne doit pas nommer en bonne compagnie.
Je ne sais quel honnête curé a trouvé moyen de détruire cette
superstition et de conserver le sire de Naillac en bonne odeur auprès
des dévots de sa paroisse, en faisant de lui (à tort, il est vrai) le
fondateur de l'église; si bien qu'aujourd'hui on vous montre l'ancien
saint sous ce titre prosaïque: l'entrepreneur de bâtiment. Son nez et sa
bouche sont entaillés de coupures qui l'ont un peu défiguré.
L'usage était encore, il y a trente ans, de gratter ainsi au couteau
certaines statues, et même certaines pierres. La poudre qu'on en retirait
était mêlée à un verre d'eau que s'administraient les femmes stériles.
Cette précieuse église était bâtie au centre de l'antique forteresse dont
les tours et la muraille ruinées jalonnent l'ancien développement sur le
roc escarpé.
Le château moderne, bâti au siècle dernier dans un style quasi
monastique, soutient le chevet de l'église. L'ancienne porte, flanquée de
deux tours, espacée d'une ogive au-dessus de laquelle se dessinent les
coulisses destinées à la herse, sert encore d'entrée au manoir. Le pied
des fortifications plonge à pic dans le torrent.
Nul château n'a une situation plus étrangement mystérieuse et
romantique. Un seul grand arbre ombrage la petite place du bourg, qui,
d'un côté, domine le précipice, et, de l'autre, se pare naturellement d'un
énorme bloc isolé, d'une forme et d'une couleur excellentes.

Arbre, place, ravin, herse, église, château et rocher, tout cela se tient et
forme, au centre du bourg, un tableau charmant et singulier qui ne
ressemble qu'à lui-même.
Le châtelain actuel est un solide vieillard de quatre-vingts ans, qui s'en
va encore tout seul, à pied, par une chaleur torride, à travers les sentiers
escarpés de ses vastes domaines. Riche de cinquante mille livres de
rente, dit-on, il n'a jamais rien restauré que je sache; mais il n'a jamais
rien détruit; sachons-lui-en gré. Les pans écroulés de ses vieilles
murailles sombres dentellent son rocher dans un désordre pittoresque,
et les longs épis historiés de ses girouettes tordues et penchées sur ses
tours d'entrée ne peuvent être taxés d'imitation et de charlatanisme.
Un autre monument du village, c'est une maison renaissance, fort
élégante d'aspect, habitée par des paysans. Elle tombe en ruine.
À quelque distance, on la croirait bâtie en beau moellon de granit; mais,
comme toutes les autres, elle n'est qu'en pierre feuilletée et schisteuse
de la localité.
On l'a seulement revêtue de filets de mastic blanchâtre en relief, qui
font un trompe-l'oeil très-harmonieux. Son pignon aigu est percé
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