Promenades autour dun village | Page 3

George Sand
en plein Berry, et pourtant ce sont d'autres types,
d'autres manières, d'autres costumes que ceux des bords de l'Indre. L'air
avenant, l'obligeance hospitalière, la confiance soudaine, je ne sais
quelle familiarité sympathique, voilà d'emblée, et de la part de toutes
gens, un bon accueil assuré. En un instant, étables et granges s'ouvrent
pour remiser au mieux notre véhicule et recevoir nos chevaux.
--Ah! vous voilà enfin revenu chez nous? dit, derrière moi, une voix
d'homme en m'appelant par mon nom. Votre cheval blanc ne valait pas
ceux-ci. Et votre fils, où est-il donc? Je ne le vois pas. Où voulez-vous
aller, cette fois? À la Roche-Martin ou à la Preugne-au-Pot? Nous
aurons, j'espère, meilleur temps que la dernière fois, et nous passerons
la rivière sans danger dans le bateau.
Cet homme, qui me parlait de nos dernières courses avec lui en 1844,
comme s'il se fût agi d'hier, et dont je reconnaissais la figure de
contrebandier espagnol, c'était Moreau, le pêcheur de truites, le loueur
d'ânes et de chevaux, le messager, le guide, le factotum actif et
intelligent des voyageurs en Creuse.

--Conduisez-nous à l'autre village, lui dis-je; vos chemins sont tout
changés; je ne me reconnais plus.
--Ah! dame, nos chemins sont mieux dessinés qu'autrefois. On va plus
droit; mais ils ne sont pas encore commodes aux voitures, et vous irez
plus vite à pied.
--C'est notre intention, d'aller à pied.
--Alors, marchons.
--J'ai grand'soif, dit Amyntas en soupirant.
--Voulez-vous du lait de ma chèvre? lui cria une pauvre femme devant
la porte de laquelle nous passions.
Amyntas accepta, tout joyeux d'avoir à donner à cette aimable
villageoise une pièce de monnaie. Elle ne la refusa pas, mais elle la
reçut avec étonnement.
--Comment! dit-elle, vous voulez payer une écuellée de lait? Ça n'en
valait pas la peine, et j'étais bien aise de vous l'offrir.
--Vous ne me connaissez pourtant pas?
--Non; mais on aime à faire plaisir aux passants.
--Oh! oh! me dit Amyntas, sommes-nous donc déjà si loin de la vallée
Noire? Je n'y ai jamais vu un paysan prévenir les désirs d'un inconnu.
Je sais bien que ce n'est pas avarice, mais c'est méfiance ou timidité.
Le soleil baissait; nous ne savions pas où nous trouverions à dîner et à
coucher, et, une fois engagés dans le ravin, où la nuit se fait de bonne
heure et où les sentiers ne sont vraiment pas commodes, il n'y a rien de
mieux à faire que de s'en remettre à la Providence.
Amyntas doubla le pas en chantant.
Chrysalidor ne chantait pas; il ne pensait même plus à récolter des

insectes. Tandis que son compagnon s'enivrait de bien-être et de
mouvement, il était tranquillement ravi du charme particulier de ce
doux et agreste paysage. Tout savant exact et chercheur minutieux qu'il
est, il connaît les jouissances de l'artiste, il n'a pas l'intelligence
atrophiée par l'amour du détail. Il comprend et il aime l'ensemble. Il sait
respirer la saveur du grand tout. Cependant il voyait comme qui dirait
des deux yeux. Il en avait un pour le grand aspect du temple de la
nature, et l'autre pour les pierres précieuses qui en revêtent le sol et les
parois.
--Je vois ici, nous dit-il, une flore tout à coup différente de celle que
nous traversions il y a un quart d'heure. Voici des plantes de montagne
qui ont le facies méridional: où donc sommes-nous? Je n'y comprends
plus rien. Et cette chaleur écrasante à l'heure où l'air devrait fraîchir, la
sentez-vous? Il n'y a pourtant pas un nuage au ciel.
--Si je la sens? répondit Amyntas. Je le crois bien! Nous sommes pour
le moins en Afrique.
--Il serait fort possible, reprit le savant d'un air absorbé, que nous
fissions ici quelque rencontre étonnante!
--Oh! n'ayez pas peur, monsieur! s'écria Moreau, qui crut que notre
savant s'attendait à rencontrer tout au moins quelque lion de l'Atlas. Il
n'y a point ici de méchantes bêtes.
Le chemin fit encore un coude, et le village, le vrai village cherché, se
présenta magnifiquement éclairé, sous nos pieds. Il faut arriver là au
soleil couchant: chaque chose a son heure pour être belle.
C'est un nid bâti au fond d'un entonnoir de collines rocheuses où se sont
glissées des zones de terre végétale. Au-dessus de ces collines s'étend
un second amphithéâtre plus élevé. Ainsi de toutes parts le vent se brise
au-dessus de la vallée, et de faibles souffles ne pénètrent au fond de la
gorge que pour lui donner la fraîcheur nécessaire à la vie. Vingt sources
courant dans les plis du rocher, ou surgissant dans les enclos herbus,
entretiennent la beauté de la végétation environnante.

La population est de six à sept cents âmes. Les maisons se groupent
autour de l'église, plantée sur le rocher central, et s'en vont en pente, par
des ruelles étroites,
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