bleues rayées de rochers blancs et de remous écumeux. 
C'est cette grande brisure qui se découvrait tout à coup au détour du 
chemin et qui ravissait nos regards par un spectacle aussi charmant 
qu'inattendu. 
En cet endroit, le torrent forme un fer à cheval autour d'un mamelon 
fertile couvert de blondes moissons. Ce mamelon, incliné jusqu'au lit de 
la Creuse, ressemble à un éboulement qui aurait coulé paisiblement 
entre les deux remparts de rochers, lesquels se relèvent de chaque côté 
et enferment, à perte de vue, le cours de la rivière dans les sinuosités de 
leurs murailles dentelées. 
Le contraste de ces âpres déchirements et de cette eau agitée, avec la 
placidité des formes environnantes, est d'un réussi extraordinaire. 
C'est une petite Suisse qui se révèle au sein d'une contrée où rien 
n'annonce les beautés de la montagne. Elles y sont pourtant 
discrètement cachées et petites de proportions, il est vrai, mais vastes 
de courbes et de perspectives, et infiniment heureuses dans leurs 
mouvements souples et fuyants. Le torrent et ses précipices n'ont pas de 
terreurs pour l'imagination. On sent une nature abordable, et comme qui 
dirait des abîmes hospitaliers. Ce n'est pas sublime d'horreur; mais la 
douceur a aussi sa sublimité, et rien n'est doux à l'oeil et à la pensée 
comme cette terre généreuse soumise à l'homme, et qui semble ne s'être 
permis de montrer ses dents de pierre que là où elles servent à soutenir 
les cultures penchées au bord du ravin. 
Quand vous interrogez une de ces mille physionomies que revêt la 
nature à chaque pas du voyageur, ne vous vient-il pas toujours à l'idée 
de la personnifier dans l'image d'une déesse aux traits humains? 
La terre est femelle, puisqu'elle est essentiellement mère. C'est donc
une déité aux traits changeants, et elle se symbolise par une beauté de 
femme tour à tour souriante et désespérée, austère et pompeuse, 
voluptueuse et chaste. Le travail de l'homme, jusqu'à ce jour ennemi de 
sa beauté, réussit à lui ôter toute physionomie, et cela, sur de grandes 
étendues de pays. Livrée à elle-même, elle trouve toujours moyen d'être 
belle ou frappante d'une manière quelconque. 
Voilà pourquoi, dès qu'on aborde une région où les conquêtes de la 
culture n'ont pu effacer la trace des grands bouleversements ou des 
grands nivellements primitifs, on est saisi d'émotion et de respect. 
Cette émotion tient du vertige devant les scènes grandioses des hautes 
montagnes et les débris formidables des grands cataclysmes. 
Rien de semblable ici. 
C'est un mouvement gracieux de la bonne déesse; mais, dans ce 
mouvement, dans ce pli facile de son vêtement frais, on sent la force et 
l'ampleur de ses allures. Elle est là comme couchée de son long sur les 
herbes, baignant ses pieds blancs dans une eau courante et pure; c'est la 
puissance en repos; c'est la bonté calme des dieux amis. Mais il n'y à 
rien de mou dans ses formes, rien d'énervé dans son sourire. Elle a la 
souveraine tranquillité des immortels, et, toute mignonne et délicate 
qu'elle se montre, on sent que c'est d'une main formidablement aisée 
qu'elle a creusé ce vaste et délicieux jardin dans cet horizon de son 
choix. 
Ce jardin naturel qui s'étend sur les deux rives de la Creuse, c'est l'oasis 
du Berry. 
Chère petite Indre froide et muette de nos prairies, pardonne-le-nous! tu 
es notre compagne légitime; mais nous tous qui habitons tes rives 
étroites et ombragées, nous sommes les amoureux de la Creuse, et, 
quand nous avons trois jours de liberté, nous te fuyons pour aller 
tremper le bout de nos doigts dans les petits flots mutins de la naïade de 
Châteaubrun et de Crozant. Les bons bourgeois et les jeunes poëtes de 
nos petites villes vont voir ces rochers, après lesquels ils croient 
naïvement que les Alpes et les Pyrénées n'ont plus rien à leur
apprendre. 
Faisons comme eux, oublions le mont Blanc et le pic du Midi. Oublions 
même Mayorque et l'Auvergne, et le Soracte, plus facile à oublier. 
Qu'importe la dimension des choses! C'est l'harmonie de la couleur et la 
proportion des formes qui constituent la beauté. Le sentiment de la 
grandeur se révèle parfois aussi bien dans la pierre antique gravée d'un 
chaton de bague que dans un colosse d'architecture. 
La journée était devenue brûlante; nos chevaux avaient faim et soif: 
nous descendîmes au village du Pin, où le chemin finissait. Mais le 
malheureux village, il est assis au bord du ravin de la Creuse, et il lui 
tourne le dos! Pas une maison, pas un oeil qui se soucie de plonger 
dans cette belle profondeur; les habitants aiment mieux regarder leur 
chemin neuf et poudreux et le talus aride qui l'enferme. 
Malgré cette absence de goût, on peut dire, comme dans les relations 
des grands voyages, que les habitants de ce lieu sont fort affables. Nous 
sommes encore    
    
		
	
	
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