Pot-bouille | Page 7

Emile Zola
lingerie, que tenait cette demoiselle. Mais, en haut de l'escalier tournant, derrière une pyramide faite de pièces de calicot symétriquement rangées, le jeune homme s'arrêta net, en entendant l'architecte tutoyer Gasparine.
--Je te jure que non! criait-il, s'oubliant jusqu'à hausser la voix.
Il y eut un silence.
--Comment se porte-t-elle? demanda la jeune femme.
--Mon Dieu! toujours la même chose. ?a va, ?a vient.... Elle sent bien que c'est fini, maintenant. Jamais ?a ne se remettra.
Gasparine reprit d'une voix apitoyée:
--Mon pauvre ami, c'est toi qui es à plaindre. Enfin, puisque tu as pu t'arranger d'une autre fa?on.... Dis-lui combien je suis chagrine de la savoir toujours souffrante....
Campardon, sans la laisser achever, l'avait saisie aux épaules et la baisait rudement sur les lèvres, dans l'air chauffé de gaz, qui s'alourdissait déjà sous le plafond bas. Elle lui rendit son baiser, en murmurant:
--Si tu peux, demain matin, à six heures.... Je resterai couchée. Frappe trois coups.
Octave, étourdi, commen?ant à comprendre, toussa et se montra. Une autre surprise l'attendait: la cousine Gasparine s'était séchée, maigre, anguleuse, la machoire saillante, les cheveux durs; et elle n'avait gardé que ses grands yeux superbes, dans son visage devenu terreux. Avec son front jaloux, sa bouche ardente et volontaire, elle le troubla, autant que Rose l'avait charmé, par son épanouissement tardif de blonde indolente.
Cependant, Gasparine fut polie, sans effusion. Elle se souvenait de Plassans, elle parla au jeune homme des jours d'autrefois. Quand ils descendirent, Campardon et lui, elle leur serra la main. En bas, madame Hédouin dit simplement à Octave:
--A demain, monsieur.
Dans la rue, assourdi par les fiacres, bousculé par les passants, le jeune homme ne put s'empêcher de faire remarquer que cette dame était très belle, mais qu'elle n'avait pas l'air aimable. Sur le pavé noir et boueux, des vitrines claires de magasins fra?chement décorés, flambant de gaz, jetaient des carrés de vive lumière; tandis que de vieilles boutiques, aux étalages obscurs, attristaient la chaussée de trous d'ombre, éclairées seulement à l'intérieur par des lampes fumeuses, qui br?laient comme des étoiles lointaines. Rue Neuve-Saint-Augustin, un peu avant de tourner dans la rue de Choiseul, l'architecte salua, en passant devant une de ces boutiques.
Une jeune femme, mince et élégante, drapée dans un mantelet de soie, se tenait debout sur le seuil, tirant à elle un petit gar?on de trois ans, pour qu'il ne se f?t pas écraser. Elle causait avec une vieille dame en cheveux, la marchande sans doute, qu'elle tutoyait. Octave ne pouvait distinguer ses traits, dans ce cadre de ténèbres, sous les reflets dansants des becs de gaz voisins; elle lui parut jolie, il ne voyait que deux yeux ardents, qui se fixèrent un instant sur lui comme deux flammes. Derrière, la boutique s'enfon?ait, humide, pareille à une cave, d'où montait une vague odeur de salpêtre.
--C'est madame Valérie, la femme de monsieur Théophile Vabre, le fils cadet du propriétaire: vous savez, les gens du premier? reprit Campardon, quand il eut fait quelques pas. Oh! une dame bien charmante!... Elle est née dans cette boutique, une des merceries les plus achalandées du quartier, que ses parents, monsieur et madame Louhette, tiennent encore, pour s'occuper. Ils y ont gagné des sous, je vous en réponds!
Mais Octave ne comprenait pas le commerce de la sorte, dans ces trous du vieux Paris, où jadis une pièce d'étoffe suffisait d'enseigne. Il jura que, pour rien au monde, il ne consentirait à vivre au fond d'un pareil caveau. On devait y empoigner de jolies douleurs!
Tout en causant, ils avaient monté l'escalier. On les attendait. Madame Campardon s'était mise en robe de soie grise, coiffée coquettement, très soignée dans toute sa personne. Campardon la baisa sur le cou, avec une émotion de bon mari.
--Bonsoir, mon chat.... bonsoir, ma cocotte....
Et l'on passa dans la salle à manger. Le d?ner fut charmant. Madame Campardon causa d'abord des Deleuze et des Hédouin: une famille respectée de tout le quartier, et dont les membres étaient bien connus, un cousin papetier rue Gaillon, un oncle marchand de parapluies passage Choiseul, des neveux et des nièces établis un peu partout aux alentours. Puis, la conversation tourna, on s'occupa d'Angèle, raide sur sa chaise, mangeant avec des gestes cassés. Sa mère l'élevait à la maison, c'était plus s?r; et, ne voulant pas en dire davantage, elle clignait les yeux, pour faire entendre que les demoiselles apprennent de vilaines choses dans les pensionnats. Sournoisement, la jeune fille venait de poser son assiette en équilibre sur son couteau. Lisa, qui servait, ayant failli la casser, s'écria:
--C'est votre faute, mademoiselle!
Un fou rire, violemment contenu, passa sur le visage d'Angèle. Madame Campardon s'était contentée de hocher la tête; et, quand Lisa fut sortie pour aller chercher le dessert, elle fit d'elle un grand éloge: très intelligente, très active, une fille de Paris sachant toujours se retourner. On aurait pu se passer de Victoire, la cuisinière, qui
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