Pot-bouille | Page 8

Emile Zola
n'était plus très propre, à cause de son grand age; mais elle avait vu na?tre monsieur chez son père, c'était une ruine de famille qu'ils respectaient. Puis, comme la femme de chambre rentrait avec des pommes cuites:
--Conduite irréprochable, continua madame Campardon à l'oreille d'Octave. Je n'ai encore rien découvert.... Un seul jour de sortie par mois pour aller embrasser sa vieille tante, qui demeure très loin.
Octave regardait Lisa. A la voir, nerveuse, la poitrine plate, les paupières meurtries, cette pensée lui vint qu'elle devait faire une sacrée noce, chez sa vieille tante. Du reste, il approuvait fortement la mère, qui continuait à lui soumettre ses idées sur l'éducation: une jeune fille est une responsabilité si lourde, il fallait écarter d'elle jusqu'aux souffles de la rue. Et, pendant ce temps, Angèle, chaque fois que Lisa se penchait près de sa chaise pour changer une assiette, lui pin?ait les cuisses, dans une rage d'intimité, sans que ni l'une ni l'autre, très sérieuses, eussent seulement un battement de paupières.
--On doit être vertueux pour soi, dit l'architecte doctement, comme conclusion à des pensées qu'il n'exprimait pas. Moi, je me fiche de l'opinion, je suis un artiste!
Après le d?ner, on resta jusqu'à minuit au salon. C'était une débauche, pour fêter l'arrivée d'Octave. Madame Campardon paraissait très lasse; peu à peu, elle s'abandonnait, renversée sur un canapé.
--Tu souffres, mon chat? lui demanda son mari.
--Non, répondit-elle à demi-voix. C'est toujours la même chose.
Elle le regarda, puis doucement:
--Tu l'as vue chez les Hédouin?
--Oui.... Elle m'a demandé de tes nouvelles.
Des larmes montaient aux yeux de Rose.
--Elle se porte bien, elle!
--Voyons, voyons, dit l'architecte en lui mettant de petits baisers sur les cheveux, oubliant qu'ils n'étaient pas seuls. Tu vas encore te faire du mal.... Ne sais-tu pas que je t'aime tout de même, ma pauvre cocotte!
Octave, qui, discrètement, était allé à la fenêtre, comme pour regarder dans la rue, revint étudier le visage de madame Campardon, la curiosité remise en éveil, se demandant si elle savait. Mais elle avait repris sa face aimable et dolente, elle se pelotonnait au fond du canapé, en femme qui se fait son plaisir, forcément résignée à sa part de caresses.
Enfin, Octave leur souhaita une bonne nuit. Son bougeoir à la main, il était encore sur le palier, lorsqu'il entendit un bruit de robes de soie fr?lant les marches. Par politesse, il s'effa?a. C'étaient évidemment les dames du quatrième, madame Josserand et ses deux filles, qui revenaient de soirée. Quand elles passèrent, la mère, une femme corpulente et superbe, le dévisagea; tandis que l'a?née des demoiselles s'écartait d'un air rêche, et que la cadette, étourdiment, le regardait avec un rire, dans la vive clarté de la bougie. Elle était charmante, celle-là, la mine chiffonnée, le teint clair, les cheveux chatains, dorés de reflets blonds; et elle avait une grace hardie, la libre allure d'une jeune mariée, rentrant d'un bal dans une toilette compliquée de noeuds et de dentelles, comme les filles à marier n'en portent pas. Les tra?nes disparurent le long de la rampe, une porte se referma. Octave restait tout amusé de la gaieté de ses yeux.
Lentement, il monta à son tour. Un seul bec de gaz br?lait, l'escalier s'endormait dans une chaleur lourde. Il lui sembla plus recueilli, avec ses portes chastes, ses portes de riche acajou, fermées sur des alc?ves honnêtes. Pas un soupir ne passait, c'était un silence de gens bien élevés qui retiennent leur souffle. Cependant, un léger bruit se fit entendre, il se pencha et aper?ut M. Gourd, en pantoufles et en calotte, éteignant le dernier bec de gaz. Alors, tout s'ab?ma, la maison tomba à la solennité des ténèbres, comme anéantie dans la distinction et la décence de son sommeil.
Octave, pourtant, eut beaucoup de peine à s'endormir. Il se retournait fiévreusement, la cervelle occupée des figures nouvelles qu'il avait vues. Pourquoi diable les Campardon se montraient-ils si aimables? Est-ce qu'ils rêvaient, plus tard, de lui donner leur fille? Peut-être aussi le mari le prenait-il en pension pour occuper et égayer sa femme? Et cette pauvre dame, quelle dr?le de maladie pouvait-elle avoir? Puis, ses idées se brouillèrent davantage, il vit passer des ombres: la petite madame Pichon, sa voisine, avec ses regards vides et clairs; la belle madame Hédouin, correcte et sérieuse dans sa robe noire; et les yeux ardents de madame Valérie; et le rire gai de mademoiselle Josserand. Comme il en poussait en quelques heures, sur le pavé de Paris! Toujours il avait rêvé cela, des dames qui le prendraient par la main et qui l'aideraient dans ses affaires. Mais celles-là revenaient, se mêlaient avec une obstination fatigante. Il ne savait laquelle choisir, il s'effor?ait de garder sa voix tendre, ses gestes calins. Et, brusquement, accablé, exaspéré, il céda à son fond de brutalité, au dédain féroce qu'il avait de la femme, sous son air
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