coeur sec. 
Les deux perdrix s'agitent, remuent le col. 
Madame Lepic: Qu'est-ce que tu attends pour les tuer? 
Poil de Carotte: Maman, j'aimerais autant les marquer sur l'ardoise, à 
mon tour.
Madame Lepic: L'ardoise est trop haute pour toi. 
Poil de Carotte: Alors, j'aimerais autant les plumer. 
Madame Lepic: Ce n'est pas l'affaire des hommes. 
Poil de Carotte prend les deux perdrix. On lui donne obligeamment les 
indications d'usage: 
--Serre-les là, tu sais bien, au cou, à rebrousse-plume. 
Une pièce dans chaque main derrière son dos, il commence. 
Monsieur Lepic: Deux à la fois, mâtin! 
Poil de Carotte: C'est pour aller plus vite. 
Madame Lepic: Ne fais donc pas ta sensitive; en dedans, tu savoures ta 
joie. 
Les perdrix se défendent, convulsives, et, les ailes battantes, éparpillent 
leurs plumes. Jamais elles ne voudront mourir. Il étranglerait plus 
aisément, d'une main, un camarade. Il les met entre ses deux genoux, 
pour les contenir, et, tantôt rouge, tantôt blanc, en sueur, la tête haute 
afin de ne rien voir, il serre plus fort. 
Elles s'obstinent. 
Pris de la rage d'en finir, il les saisit par les pattes et leur cogne la tête 
sur le bout de son soulier. 
--Oh! le bourreau! le bourreau! s'écrient grand frère Félix et soeur 
Ernestine. 
--Le fait est qu'il raffine, dit madame Lepic. Les pauvres bêtes! je ne 
voudrais pas être à leur place, entre ses griffes. 
M. Lepic, un vieux chasseur pourtant, sort écoeuré.
--Voilà! dit Poil de Carotte, en jetant les perdrix mortes sur la table. 
Madame Lepic les tourne, les retourne. Des petits crânes brisés du sang 
coule, un peu de cervelle. 
--Il était temps de les lui arracher, dit-elle. Est-ce assez cochonné? 
Grand Félix dit: --C'est positif qu'il ne les a pas réussies comme les 
autres fois. 
C'est le Chien 
M. Lepic et soeur Ernestine, accoudés sous la lampe, lisent, l'un le 
journal, l'autre son livre de prix; madame Lepic tricote, grand frère 
Félix grille ses jambes au feu et Poil de Carotte par terre se rappelle des 
choses. 
Tout à coup Pyrame, qui dort sous le paillasson, pousse un grognement 
sourd. 
--Chtt! fait M. Lepic. 
Pyrame grogne plus fort. 
--Imbécile! dit madame Lepic. 
Mais Pyrame aboie avec une telle brusquerie que chacun sursaute. 
Madame Lepic porte la main à son coeur. M. Lepic regarde le chien de 
travers, les dents serrées. Grand frère Félix jure et bientôt one s'entend 
plus. 
--Veux-tu te taire, sale chien! Tais-toi donc, bougre! 
Pyrame redouble. Madame Lepic lui donnes des claques. M. Lepic le 
frappe de son journal, puis du pied. Pyrame hurle a plat ventre, le nez 
bas, par peur des coups, et on dirait que rageur, la gueule, heurtant le 
paillasson, il casse sa voix en éclats. 
La colère suffoque les Lepic. Ils s'acharnent, debout, contre le chien
couché qui leur tient tête. 
Les vitres crissent, le tuyau du poêle chevrote et soeur Ernestine même 
jappe. 
Mais Poil de Carotte, sans qu'on le lui ordonne, est allé voir ce qu'il y a. 
Un cheminot attardé passe dans la rue peut-être et rentre tranquillement 
chez lui, à moins qu'il n'escalade le mur du jardin pour voler. 
Poil de Carotte, par le long corridor noir, s'avance, les bras tendus vers 
la porte. Il trouve le verrou et le tire avec fracas, mais il n'ouvre pas la 
porte. 
Autrefois il s'exposait, sortait dehors, et sifflant, chantant, tapant du 
pied, il s'efforçait d'effrayer l'ennemi. 
Aujourd'hui il triche. 
Tandis que ses parents s'imaginent qu'il fouille hardiment les coins et 
tourne autour de la maison en gardien fidèle, il les trompe et reste collé 
derrière la porte. Un jour il se fera pincer, mais depuis longtemps sa 
ruse lui réussit. 
Il na peur que d'éternuer et de tousser. Il retient son souffle et s'il lève 
les yeux, il aperçoit par une petite fenêtre, au-dessus de la porte, trois 
ou quatre étoiles dont l'étincelante pureté le glace. 
Mais l'instant est venu de rentrer. Il ne faut pas que le jeu se prolonge 
trop. Les soupçons s'éveilleraient. 
De nouveau, il secoue avec ses mains frêles le lourd verrou qui grince 
dans les crampons rouillés et il le pousse bruyamment jusqu'au fond de 
la gorge. A ce tapage, qu'on juge s'il revient de loin et s'il a fait son 
devoir! Chatouillé au creux du dos, il court vite rassurer sa famille. 
Or, comme la dernière fois, pendant son absence, Pyrame s'est tu, les 
Lepic calmés ont repris leurs places inamovibles et, quoiqu'on ne lui 
demande rien, Poil de Carotte dit tout de même par habitude
--C'est le chien qui rêvait. 
 
Le Cauchemar 
Poil de Carotte n'aime pas les amis de la maison. Ils le dérangent, lui 
prennent son lit et l'obligent à coucher avec sa mère. Or, si le jour il 
possède tous les défauts, la nuit il a principalement celui de ronfler. Il 
ronfle exprès, sans    
    
		
	
	
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