aucun doute. 
La grande chambre, glaciale même en août, contient deux lits. L'un est 
celui de M. Lepic, et dans l'autre Poil de Carotte va reposer, à côté de 
sa mère, au fond. 
Avant de s'endormir, il toussote sous le drap, pour déblayer sa gorge. 
Mais peut-être ronfle-t-il du nez? Il fait souffler en douceur ses narines 
afin de s'assurer qu'elles ne sont pas bouchées. Il s'exerce à ne point 
respirer trop fort. 
Mais dès qu'il dort, il ronfle. C'est comme une passion. 
Aussitôt madame Lepic lui entre deux ongles, jusqu'au sang, dans le 
plus gras d'une fesse. Elle a fait choix de ce moyen. 
Le cri de Poil de Carotte réveille brusquement M. Lepic, qui demande: 
--Qu'est-ce que tu as? 
--Il a le cauchemar, dit madame Lepic. 
Et elle chantonne, à la manière des nourrices, un air berceur qui semble 
indien. 
Du front, des genoux poussant le mur, comme s'il voulait l'abattre, les 
mains plaquées sur les fesses pour parer le pinçon qui va venir au 
premier appel des vibrations sonores, Poil de Carotte se rendort dans le 
grand lit où il repose, à côté de sa mère, au fond.
Sauf votre Respect 
Peut-on, doit-on le dire? Poil de Carotte, à l'âge où les autres 
communient, blancs de coeur et de corps, est resté malpropre. Une nuit, 
il a trop attendu, n'osant demander. 
Il espérait, au moyen de tortillements gradués, calmer le malaise. 
Quelle prétention! 
Une autre nuit, il s'est rêvé commodément installé contre une borne, à 
l'écart, puis il a fait dans des draps, tout innocent, bien endormi. Il 
s'éveille. Pas plus de borne près de lui qu'à son étonnement! 
Madame Lepic se garde de s'emporter. Elle nettoie, calme, indulgente, 
maternelle. Et même, le lendemain matin, comme un enfant gâté, Poil 
de Carotte déjeune avant de se lever. 
Oui, on lui apporte sa soupe au lit, une soupe soignée, où madame 
Lepic, avec une palette de bois, en a délayé un peu, oh! très peu. 
A son chevet, grand frère Félix et soeur Ernestine observent Poil de 
Carotte d'un air sournois, prêts à éclater de rire au premier signal. 
Madame Lepic, petite cuillerée par petite cuillerée, donne la becquée à 
son enfant. Du coin de l'oeil, elle semble dire à grand frère Félix et à 
soeur Ernestine: 
--Attention! préparez-vous! 
--Oui, maman. 
Par avance, ils s'amusent des grimaces futures. On aurait dû inviter 
quelques voisins. Enfin, madame Lepic, avec un dernier regard aux 
aînés comme pour leur demander: 
--Y êtes-vous?
lève lentement, lentement la dernière cuillerée, l'enfonce jusqu'à la 
gorge, dans la bouche grande ouverte de Poil de Carotte, le bourre, le 
gave, et lui dit, à la fois goguenarde et dégoûtée: 
--Ah! ma petite salissure, tu en as mangé, tu en as mangé, et de la 
tienne encore, de celle d'hier. 
--Je m'en doutais, répond simplement Poil de Carotte, sans faire la 
figure espérée. 
Il s'y habitue, et quand on s'habitue à une chose, elle finit par n'être plus 
drôle du tout. 
 
Le Pot 
I 
Comme il lui est arrivé déjà plus d'un malheur au lit, Poil de Carotte a 
bien soin de prendre ses précautions chaque soir. En été, c'est facile. A 
neuf heures, quand madame Lepic l'envoie se coucher, Poil de Carotte 
fait volontiers un tour dehors et il passe une nuit tranquille. 
L'hiver, la promenade devient une corvée. Il a beau prendre, dès que la 
nuit tombe et qu'il ferme les poules, une première précaution, il ne peut 
espérer qu'elle suffira jusqu'au lendemain matin. On dîne, on veille, 
neuf heures sonnent, il y a longtemps que c'est la nuit, et la nuit va 
durer encore une éternité. Il faut que Poil de Carotte prenne une 
deuxième précaution. 
Et ce soir, comme tous les soirs, il s'interroge. 
--Ai-je envie? se dit il; n'ai-je pas envie? 
D'ordinaire il se répond "oui", soit que, sincèrement, il ne puisse reculer, 
soit que la lune l'encourage par son éclat. Quelquefois M. Lepic et 
grand frère Félix lui donnent l'exemple. D'ailleurs la nécessité ne 
l'oblige pas toujours à s'éloigner de la maison, jusqu'au fossé de la rue,
presque en pleine campagne. Le plus souvent il s'arrête au bas de 
l'escalier; c'est selon. 
Mais, ce soir, la pluie crible les carreaux, le vent a éteint les étoiles et 
les noyers ragent dans les prés. 
--Ça se trouve bien, conclut Poil de Carotte, après avoir délibéré sans 
hâte, je n'ai pas envie. 
Il dit bonsoir à tout le monde, allume une bougie, et gagne au fond du 
corridor, à droite, sa chambre nue et solitaire. Il se déshabille, se 
couche et attend la visite de madame Lepic. Elle le borde serré, d'un 
unique renfoncement, et souffle la bougie. Elle lui laisse la bougie et ne 
lui laisse point d'allumettes. Et elle l'enferme à clef parce qu'il est 
peureux. Poil de Carotte goûte d'abord le plaisir    
    
		
	
	
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