Vous figurez-vous qu'un
Médicis se déshonore publiquement, par partie de plaisir? D'ailleurs ce
n'est pas la première fois que cela lui arrive; jamais il n'a pu voir une
épée.
LE CARDINAL.
C'est bien fort, c'est bien fort!
Ils sortent.
SCÈNE V
Devant l'église de Saint-Miniato à Montolivet.--La foule sort de
l'église.
UNE FEMME, à sa voisine.
Retournez-vous ce soir à Florence?
LA VOISINE.
Je ne reste jamais plus d'une heure ici, et je n'y viens jamais qu'un seul
vendredi[B]; je ne suis pas assez riche pour m'arrêter à la foire; ce n'est
pour moi qu'une affaire de dévotion, et que cela suffise pour mon salut,
c'est tout ce qu'il me faut.
[Note B: On allait à Montolivet tous les vendredis de certains mois:
c'était à Florence ce que Longchamp était autrefois à Paris: les
marchands y trouvaient l'occasion d'une foire et y transportaient leurs
boutiques. (Note de l'auteur.)]
UNE DAME DE LA COUR, à une autre.
Comme il a bien prêché! c'est le confesseur de ma fille.
Elle s'approche d'une boutique.
Blanc et or, cela fait bien le soir; mais le jour, le moyen d'être propre
avec cela!
Le marchand et l'orfèvre devant leurs boutiques avec quelques
cavaliers.
L'ORFÈVRE.
La citadelle! voilà ce que le peuple ne souffrira jamais, voir tout d'un
coup s'élever sur la ville cette nouvelle tour de Babel, au milieu du plus
maudit baragouin; les Allemands ne pousseront jamais à Florence, et
pour les y greffer, il faudra un vigoureux lien.
LE MARCHAND.
Voyez, mesdames; que Vos Seigneuries acceptent un tabouret sous
mon auvent.
UN CAVALIER.
Tu es du vieux sang florentin, père Mondella; la haine de la tyrannie
fait encore trembler tes doigts ridés sur tes ciselures précieuses, au fond
de ton cabinet de travail.
L'ORFÈVRE.
C'est vrai, Excellence. Si j'étais un grand artiste, j'aimerais les princes,
parce qu'eux seuls peuvent faire entreprendre de grands travaux; les
grands artistes n'ont pas de patrie; moi, je fais des saints ciboires et des
poignées d'épée.
UN AUTRE CAVALIER.
A propos d'artiste, ne voyez-vous pas dans ce petit cabaret ce grand
gaillard qui gesticule devant des badauds? Il frappe son verre sur la
table; si je ne me trompe, c'est ce hâbleur de Cellini.
LE PREMIER CAVALIER.
Allons-y donc, et entrons; avec un verre de vin dans la tête, il est
curieux à entendre, et probablement quelque bonne histoire est en train.
Ils sortent.--Deux bourgeois s'assoient.
PREMIER BOURGEOIS.
Il y a eu une émeute à Florence?
DEUXIÈME BOURGEOIS.
Presque rien.--Quelques pauvres jeunes gens ont été tués sur le
Vieux-Marché.
PREMIER BOURGEOIS.
Quelle pitié pour les familles!
DEUXIÈME BOURGEOIS.
Voilà des malheurs inévitables. Que voulez-vous que fasse la jeunesse
d'un gouvernement comme le nôtre? On vient crier à son de trompe que
César est à Bologne, et les badauds répètent: «César est à Bologne,» en
clignant des yeux d'un air d'importance, sans réfléchir à ce qu'on y fait.
Le jour suivant, ils sont plus heureux encore d'apprendre et de répéter:
«Le pape est à Bologne avec César.» Que s'ensuit-il? Une réjouissance
publique, ils n'en voient pas davantage; et puis un beau matin ils se
réveillent tout endormis des fumées du vin impérial, et ils voient une
figure sinistre à la grande fenêtre du palais des Pazzi. Ils demandent
quel est ce personnage, on leur répond que c'est leur roi. Le pape et
l'empereur sont accouchés d'un bâtard qui a droit de vie et de mort sur
nos enfants, et qui ne pourrait pas nommer sa mère.
L'ORFÈVRE, s'approchant.
Vous parlez en patriote, ami; je vous conseille de prendre garde à ce
flandrin.
Passe un officier allemand.
L'OFFICIER.
Ôtez-vous de là, messieurs; des dames veulent s'asseoir.
Deux dames de la cour entrent et s'assoient.
PREMIÈRE DAME.
Cela est de Venise?
LE MARCHAND.
Oui, Magnifique Seigneurie; vous en lèverai-je quelques aunes?
PREMIÈRE DAME.
Si tu veux. J'ai cru voir passer Julien Salviati.
L'OFFICIER.
Il va et vient à la porte de l'église; c'est un galant.
DEUXIÈME DAME.
C'est un insolent. Montrez-moi des bas de soie.
L'OFFICIER.
Il n'y en aura pas d'assez petits pour vous.
PREMIÈRE DAME.
Laissez donc, vous ne savez que dire. Puisque vous voyez Julien, allez
lui dire que j'ai à lui parler.
L'OFFICIER.
J'y vais et je le ramène.
Il sort.
PREMIÈRE DAME.
Il est bête à faire plaisir, ton officier; que peux-tu faire de cela?
DEUXIÈME DAME.
Tu sauras qu'il n'y a rien de mieux que cet homme-là.
Elles s'éloignent.--Entre le prieur de Capoue.
LE PRIEUR.
Donnez-moi un verre de limonade, brave homme.
Il s'assoit.
UN DES BOURGEOIS.
Voilà le prieur de Capoue; c'est là un patriote!
Les deux bourgeois se rassoient.
LE PRIEUR.
Vous venez de l'église, messieurs? que dites-vous du sermon?
LE BOURGEOIS.
Il était beau, seigneur prieur.
DEUXIÈME BOURGEOIS, à l'orfèvre.
Cette noblesse des Strozzi est chère au peuple, parce qu'elle n'est pas
fière. N'est-il pas agréable de

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