singulier qui était en elle et qui vous enveloppait doucement
comme la chaleur pénétrante d'un foyer où brille un feu clair. Ce
charme ne provenait ni de la pureté de ses traits, qui n'étaient pas d'une
extrême régularité, ni de la grandeur et de l'éclat de ses yeux, qu'on
pouvait voir sans en être ébloui: il provenait de l'harmonie, ce don si
rare et si précieux. Il était impossible de désirer qu'elle eût le nez plus
fin ou la bouche plus petite: il semblait que chacun de ses traits fût
précisément ce qu'il devait être, et qu'on les avait faits exprès pour elle;
le son de la voix répondait à l'expression du regard; le sourire était bien
tel qu'on l'espérait de ses lèvres, et, quand on l'avait quittée, on ne
pensait pas qu'elle pût être mieux ou autrement qu'on ne l'avait vue.
Le lendemain de cette première rencontre, Georges n'aurait pas pu dire
si Mme Rose était brune ou blonde, il lui semblait bien, en cherchant,
qu'elle avait les cheveux châtain clair et les yeux d'un bleu foncé, mais
il n'en était pas sûr; il se rappelait seulement qu'elle avait une grande
apparence de jeunesse avec un air réfléchi qui augmentait la grâce de sa
physionomie. Quand elle parlait, elle vous regardait bien franchement
dans les yeux; un joli sourire égayait le coin de sa bouche, qui semblait
faite pour la vérité. Elle était naturellement joyeuse et vive, et
cependant un voile de mélancolie était répandu sur son front, et son
regard avait parfois quelque chose de triste et de plaintif comme celui
d'une colombe blessée. C'était moins une lueur qu'un éclair fugitif; mais
il n'en fallait pas davantage pour comprendre que Mme Rose avait
souffert, comme ces petites gouttes d'eau suspendues aux pétales d'un
lis indiquent qu'il a plu.
M. de Francalin avait demandé à Mme Rose la permission de la revoir,
ne fût-ce que pour la remercier de son hospitalité, et elle la lui avait
accordée sans hésitation. Il retourna donc à Herblay dès le lendemain;
mais ce jour-là Mme Rose était à la promenade.
«Elle y va souvent quand il fait clair, dit une bonne femme qui avait
soin du ménage: si vous voulez rencontrer Mme Rose, il faut venir vers
onze heures ou midi.»
Comme il descendait la côte d'Herblay, M. de Francalin aperçut Canada
qui ramassait du sable dans la rivière. En trois coups de rame, il fut
auprès de lui.
«Si vous m'aviez hélé tout à l'heure quand vous avez passé avec la
Tortue, je vous aurais évité la peine de monter là-haut, lui dit Canada.
--Vous saviez donc que Mme Rose n'était pas chez elle?
--Pardine! puisque je viens de la conduire à la ferme, de l'autre côté de
l'eau....
--Et qui la ramènera?
--Moi donc! Est-ce que je n'ai pas des bras et un bateau? est-ce qu'il ne
faut pas qu'on gagne sa pauvre vie?»
Georges, alluma un cigare à la pipe de Canada.
«Dites donc, mon vieux, si vous laissiez de côté votre perche et votre
sable?... J'ai là mon épervier, et nous prendrions bien de quoi faire une
friture en remontant la rivière.»
Le pêcheur regarda Georges en dessous et secoua d'un air fin les
cendres de sa pipe.
«C'est-à-dire, monsieur Georges, que vous avez envie de me parler de
Mme Rose.... Vous vous êtes dit comme ça: «Je ne connais pas la rose
d'Herblay; «Canada la connaît, faisons causer le vieux.»
Georges sourit.
«Eh bien! je suis bon diable, reprit Canada; laissez-moi amarrer mon
sabot à quelque pied de saule, et je passerai à bord de la Tortue.... Nous
ramènerons Mme Rose de compagnie.... Ça n'empêche pas,
grommela-t-il en s'approchant du rivage, que cette conversation va me
faire manquer ma journée.... Ce sable que je pêche est plein de ferraille,
et il y a profit à le ramasser.
--Est-ce qu'on ne sait pas que tout travail mérite salaire? Venez
toujours,» dit Georges.
La barque attachée, Georges prit les rames, Canada l'épervier, et ils
remontèrent la Seine dans la direction des tirés de Saint-Germain.
«Çà, que vous plaît-il de savoir? reprit le pêcheur.
--Un peu de tout.
--Voulez-vous que je vous dise ma pensée, moi? poursuivit Canada
sans s'arrêter à la réponse de M. de Francalin. Vous m'avez tout à fait la
mine d'un homme qui va devenir amoureux de Mme Rose.»
Georges haussa les épaules.
» Oh! il ne faut pas faire le dédaigneux; vous l'avez été certainement de
personnes qui ne la valaient pas.... On ne vient pas s'enfermer comme
un ours à Maisons, par la bise et par la neige, sans qu'il y ait une femme
là-dessous.»
Georges rougit.
«Bon! votre visage m'a répondu.... Bah! les feuilles vertes remplacent
les feuilles mortes, et Mme Rose vous guérira; mais vrai, Dieu! si je
croyais qu'il dût lui arriver malheur à cause
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