Les mille et une nuits | Page 7

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le leur montrant: ?Savez-vous bien, dit-elle, ce que signifient ces joyaux? - Non, répondirent-ils; mais il ne tiendra qu'à vous de nous l'apprendre. - Ce sont, reprit-elle, les bagues de tous les hommes à qui j'ai fait part de mes faveurs; il y en a quatre-vingt-dix-huit bien comptées, que je garde pour me souvenir d'eux. Je vous ai demandé les v?tres pour la même raison, et afin d'avoir la centaine accomplie: voilà donc, continua-t-elle, cent amants que j'ai eus jusqu'à ce jour, malgré la vigilance et les précautions de ce vilain génie qui ne me quitte pas. Il a beau m'enfermer dans cette caisse de verre, et me tenir cachée au fond de la mer, je ne laisse pas de tromper ses soins. Vous voyez par là que quand une femme a formé un projet, il n'y a point de mari ni d'amant qui puisse en empêcher l'exécution. Les hommes feraient mieux de ne pas contraindre les femmes; ce serait le moyen de les rendre sages.? La dame, leur ayant parlé de la sorte, passa leurs bagues dans le même fil où étaient enfilées les autres. Elle s'assit ensuite comme auparavant, souleva la tête du génie, qui ne se réveilla point, la remit sur ses genoux, et fit signe aux princes de se retirer.
Ils reprirent le chemin par où ils étaient venus; et lorsqu'ils eurent perdu de vue la dame et le génie, Schahriar dit à Schahzenan: ?Hé bien! mon frère, que pensez-vous de l'aventure qui vient de nous arriver? Le génie n'a-t-il pas une ma?tresse bien fidèle? Et ne convenez-vous pas que rien n'est égal à la malice des femmes? - Oui, mon frère, répondit le roi de la Grande Tartarie. Et vous devez aussi demeurer d'accord que le génie est plus à plaindre et plus malheureux que nous. C'est pourquoi, puisque nous avons trouvé ce que nous cherchions, retournons dans nos états, et que cela ne nous empêche pas de nous marier. Pour moi, je sais par quel moyen je prétends que la foi qui m'est due me soit inviolablement conservée. Je ne veux pas m'expliquer présentement là-dessus; mais vous en apprendrez un jour des nouvelles, et je suis s?r que vous suivrez mon exemple.? Le sultan fut de l'avis de son frère; et continuant tous deux de marcher, ils arrivèrent au camp sur la fin de la nuit du troisième jour qu'ils étaient partis.
La nouvelle du retour du sultan s'y étant répandue, les courtisans se rendirent de grand matin devant son pavillon. Il les fit entrer, les re?ut d'un air plus riant qu'à l'ordinaire, et leur fit à tous des gratifications. Après quoi, leur ayant déclaré qu'il ne voulait pas aller plus loin, il leur commanda de monter à cheval, et il retourna bient?t à son palais.
à peine fut-il arrivé, qu'il courut à l'appartement de la sultane. Il la fit lier devant lui, et la livra à son grand vizir, avec ordre de la faire étrangler; ce que ce ministre exécuta, sans s'informer quel crime elle avait commis. Le prince irrité n'en demeura pas là: il coupa la tête de sa propre main à toutes les femmes de la sultane. Après ce rigoureux chatiment, persuadé qu'il n'y avait pas une femme sage, pour prévenir les infidélités de celles qu'il prendrait à l'avenir, il résolut d'en épouser une chaque nuit, et de la faire étrangler le lendemain. S'étant imposé cette loi cruelle, il jura qu'il l'observerait immédiatement après le départ du roi de Tartarie, qui prit bient?t congé de lui, et se mit en chemin, chargé de présents magnifiques.
Schahzenan étant parti, Schahriar ne manqua pas d'ordonner à son grand vizir de lui amener la fille d'un de ses généraux d'armée. Le vizir obéit. Le sultan coucha avec elle; et le lendemain, en la lui remettant entre les mains pour la faire mourir, il lui commanda de lui en chercher une autre pour la nuit suivante. Quelque répugnance qu'e?t le vizir à exécuter de semblables ordres, comme il devait au sultan son ma?tre une obéissance aveugle, il était obligé de s'y soumettre. Il lui mena donc la fille d'un officier subalterne, qu'on fit aussi mourir le lendemain. Après celle-là, ce fut la fille d'un bourgeois de la capitale; et enfin, chaque jour c'était une fille mariée et une femme morte.
Le bruit de cette inhumanité sans exemple causa une consternation générale dans la ville. On n'y entendait que des cris et des lamentations: ici c'était un père en pleurs qui se désespérait de la perte de sa fille; et là c'étaient de tendres mères, qui, craignant pour les leurs la même destinée, faisaient par avance retentir l'air de leurs gémissements. Ainsi, au lieu des louanges et des bénédictions que le sultan s'était attirées jusqu'alors, tous ses sujets ne faisaient plus que des imprécations contre lui.
Le grand vizir, qui, comme on
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