l'a déjà dit, était malgré lui le ministre d'une si horrible injustice, avait deux filles, dont l'a?née s'appelait Scheherazade, et la cadette Dinarzade.
Cette dernière ne manquait pas de mérite; mais l'autre avait un courage au-dessus de son sexe, de l'esprit infiniment, avec une pénétration admirable. Elle avait beaucoup de lecture et une mémoire si prodigieuse, que rien ne lui avait échappé de tout ce qu'elle avait lu. Elle s'était heureusement appliquée à la philosophie, à la médecine, à l'histoire et aux arts; et elle faisait des vers mieux que les poètes les plus célèbres de son temps. Outre cela, elle était pourvue d'une beauté extraordinaire; et une vertu trèssolide couronnait toutes ses belles qualités.
Le vizir aimait passionnément une fille si digne de sa tendresse. Un jour qu'ils s'entretenaient tous deux ensemble, elle lui dit: ?Mon père, j'ai une grace à vous demander; je vous supplie très- humblement de me l'accorder. - Je ne vous la refuse pas, répondit- il, pourvu qu'elle soit juste et raisonnable. - Pour juste, répliqua Scheherazade, elle ne peut l'être davantage, et vous en pouvez juger par le motif qui m'oblige à vous la demander. J'ai dessein d'arrêter le cours de cette barbarie que le sultan exerce sur les familles de cette ville. Je veux dissiper la juste crainte que tant de mères ont de perdre leurs filles d'une manière si funeste. - Votre intention est fort louable, ma fille, dit le vizir; mais le mal auquel vous voulez remédier me para?t sans remède. Comment prétendez-vous en venir à bout? - Mon père, repartit Scheherazade, puisque par votre entremise le sultan célèbre chaque jour un nouveau mariage, je vous conjure, par la tendre affection que vous avez pour moi, de me procurer l'honneur de sa couche.? Le vizir ne put entendre ce discours sans horreur: ?? Dieu! interrompit-il avec transport. Avez-vous perdu l'esprit, ma fille? Pouvez-vous me faire une prière si dangereuse? Vous savez que le sultan a fait serment sur son ame de ne coucher qu'une seule nuit avec la même femme et de lui faire ?ter la vie le lendemain, et vous voulez que je lui propose de vous épouser? Songez-vous bien à quoi vous expose votre zèle indiscret? - Oui, mon père, répondit cette vertueuse fille, je connais tout le danger que je cours, et il ne saurait m'épouvanter. Si je péris, ma mort sera glorieuse; et si je réussis dans mon entreprise, je rendrai à ma patrie un service important. - Non, dit le vizir, quoi que vous puissiez me représenter, pour m'intéresser à vous permettre de vous jeter dans cet affreux péril, ne vous imaginez pas que j'y consente. Quand le sultan m'ordonnera de vous enfoncer le poignard dans le sein, hélas! il faudra bien que je lui obéisse: quel triste emploi pour un père! Ah! si vous ne craignez point la mort, craignez du moins de me causer la douleur mortelle de voir ma main teinte de votre sang. - Encore une fois, mon père, dit Scheherazade, accordez-moi la grace que je vous demande. - Votre opiniatreté, repartit le vizir, excite ma colère. Pourquoi vouloir vous-même courir à votre perte? Qui ne prévoit pas la fin d'une entreprise dangereuse n'en saurait sortir heureusement. Je crains qu'il ne vous arrive ce qui arriva à l'ane, qui était bien, et qui ne put s'y tenir. - Quel malheur arriva-t-il à cet ane? reprit Scheherazade. - Je vais vous le dire, répondit le vizir; écoutez-moi:
FABLE.
L'?NE, LE BOEUF ET LE LABOUREUR. ?Un marchand très-riche avait plusieurs maisons à la campagne, où il faisait nourrir une grande quantité de toute sorte de bétail. Il se retira avec sa femme et ses enfants à une de ses terres, pour la faire valoir par lui-même. Il avait le don d'entendre le langage des bêtes; mais avec cette condition, qu'il ne pouvait l'interpréter à personne, sans s'exposer à perdre la vie; ce qui l'empêchait de communiquer les choses qu'il avait apprises par le moyen de ce don.
?Il y avait à une même auge un boeuf et un ane. Un jour qu'il était assis près d'eux, et qu'il se divertissait à voir jouer devant lui ses enfants, il entendit que le boeuf disait à l'ane: ?L'éveillé, que je te trouve heureux, quand je considère le repos dont tu jouis, et le peu de travail qu'on exige de toi! Un homme te panse avec soin, te lave, te donne de l'orge bien criblée, et de l'eau fra?che et nette. Ta plus grande peine est de porter le marchand notre ma?tre, lorsqu'il a quelque petit voyage à faire. Sans cela, toute ta vie se passerait dans l'oisiveté. La manière dont on me traite est bien différente, et ma condition est aussi malheureuse que la tienne est agréable: il est à peine minuit qu'on m'attache à une charrue que l'on me fait

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