aucune de ces routes dans l'ouvrage qui est joint à la
traduction des Caractères; il est tout différent des deux autres que je
viens de toucher: moins sublime que le premier et moins délicat que le
second, il ne tend qu'à rendre l'homme raisonnable, mais par des voies
simples et communes, et en l'examinant indifféremment, sans beaucoup
de méthode et selon que les divers chapitres y conduisent, par les âges,
les sexes et les conditions, et par les vices, les faibles et le ridicule qui y
sont attachés.
L'on s'est plus appliqué aux vices de l'esprit, aux replis du coeur et à
tout l'intérieur de l'homme que n'a fait Théophraste; et l'on peut dire
que, comme ses Caractères, par mille choses extérieures qu'ils font
remarquer dans l'homme, par ses actions, ses paroles et ses démarches,
apprennent quel est son fond, et font remonter jusques à la source de
son dérèglement, tout au contraire, les nouveaux Caractères, déployant
d'abord les pensées, les sentiments et les mouvements des hommes,
découvrent le principe de leur malice et de leurs faiblesses, font que
l'on prévoit aisément tout ce qu'ils sont capables de dire ou de faire, et
qu'on ne s'étonne plus de mille actions vicieuses ou frivoles dont leur
vie est toute remplie.
Il faut avouer que sur les titres de ces deux ouvrages l'embarras s'est
trouvé presque égal. Pour ceux qui partagent le dernier, s'ils ne plaisent
point assez, l'on permet d'en suppléer d'autres; mais à l'égard des titres
des Caractères de Théophraste, la même liberté n'est pas accordée,
parce qu'on n'est point maître du bien d'autrui. Il a fallu suivre l'esprit
de l'auteur, et les traduire selon le sens le plus proche de la diction
grecque, et en même temps selon la plus exacte conformité avec leurs
chapitres; ce qui n'est pas une chose facile, parce que souvent la
signification d'un terme grec, traduit en français mot pour mot, n'est
plus la même dans notre langue: par exemple, ironie est chez nous une
raillerie dans la conversation, ou une figure de rhétorique, et chez
Théophraste c'est quelque chose entre la fourberie et la dissimulation,
qui n'est pourtant ni l'un ni l'autre, mais précisément ce qui est décrit
dans le premier chapitre.
Et d'ailleurs les Grecs ont quelquefois deux ou trois termes assez
différents pour exprimer des choses qui le sont aussi et que nous ne
saurions guère rendre que par un seul mot: cette pauvreté embarrasse.
En effet, l'on remarque dans cet ouvrage grec trois espèces d'avarice,
deux sortes d'importuns, des flatteurs de deux manières, et autant de
grands parleurs: de sorte que les caractères de ces personnes semblent
rentrer les uns dans les autres, au désavantage du titre; ils ne sont pas
aussi toujours suivis et parfaitement conformes, parce que Théophraste,
emporté quelquefois par le dessein qu'il a de faire des portraits, se
trouve déterminé à ces changements par le caractère et les moeurs du
personnage qu'il peint ou dont il fait la satire.
Les définitions qui sont au commencement de chaque chapitre ont eu
leurs difficultés. Elles sont courtes et concises dans Théophraste, selon
la forme du grec et le style d'Aristote, qui lui en a fourni les premières
idées: on les a étendues dans la traduction pour les rendre intelligibles.
Il se lit aussi dans ce traité des phrases qui ne sont pas achevées et qui
forment un sens imparfait, auquel il a été facile de suppléer le véritable;
il s'y trouve de différentes leçons, quelques endroits tout à fait
interrompus, et qui pouvaient recevoir diverses explications; et pour ne
point s'égarer dans ces doutes, on a suivi les meilleurs interprètes.
Enfin, comme cet ouvrage n'est qu'une simple instruction sur les
moeurs des hommes, et qu'il vise moins à les rendre savants qu'à les
rendre sages, l'on s'est trouvé exempt de le charger de longues et
curieuses observations, ou de doctes commentaires qui rendissent un
compte exact de l'antiquité. L'on s'est contenté de mettre de petites
notes à côté de certains endroits que l'on a cru le mériter, afin que nuls
de ceux qui ont de la justesse, de la vivacité, et à qui il ne manque que
d'avoir lu beaucoup, ne se reprochent pas même ce petit défaut, ne
puissent être arrêtés dans la lecture des Caractères et douter un moment
du sens de Théophraste.
Les caractères de Théophraste[1]
[Note: 1 Traduits du grec]
J'ai admiré souvent, et j'avoue que je ne puis encore comprendre,
quelque sérieuse réflexion que je fasse, pourquoi toute la Grèce, étant
placée sous un même ciel, et les Grecs nourris et élevés de la même
manière, il se trouve néanmoins si peu de ressemblance dans leurs
moeurs. Puis donc, mon cher Polyclès, qu'à l'âge de quatre-vingt-dix
neuf ans où je me trouve, j'ai assez vécu pour connaître les hommes;
que j'ai vu d'ailleurs, pendant le

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