gauche 
avec trente-six cadenas. Vis-à-vis de ce temple, de l'autre côté du grand 
chemin, à la distance de vingt pieds, il y avait une tour d'au moins cinq 
pieds de haut; c'était là que le roi devait monter avec plusieurs des 
principaux seigneurs de sa cour pour avoir la commodité de me 
regarder à son aise. On compte qu'il y eut plus de cent mille habitants 
qui sortirent de la ville, attirés par la curiosité, et, malgré mes gardes, je 
crois qu'il n'y aurait pas eu moins de dix mille hommes qui, à 
différentes fois, auraient monté sur mon corps par des échelles, si on 
n'eût publié un arrêt du conseil d'État pour le défendre. On ne peut 
s'imaginer le bruit et l'étonnement du peuple quand il me vit debout et 
me promener: les chaînes qui tenaient mon pied gauche étaient environ 
de six pieds de long, et me donnaient la liberté d'aller et de venir dans 
un demi-cercle. 
 
Chapitre II 
L'empereur de Lilliput, accompagné de plusieurs de ses courtisans, 
vient pour voir l'auteur dans sa prison. Description de la personne et 
de l'habit de Sa Majesté. Gens savants nommés pour apprendre la 
langue à l'auteur. Il obtient des grâces par sa douceur. Ses poches sont 
visitées. 
L'empereur, à cheval, s'avança un jour vers moi, ce qui pensa lui coûter 
cher: à ma vue, son cheval, étonné, se cabra; mais ce prince, qui est un 
cavalier excellent, se tint ferme sur ses étriers jusqu'à ce que sa suite 
accourût et prît la bride. Sa Majesté, après avoir mis pied à terre, me 
considéra de tous côtés avec une grande admiration, mais pourtant se 
tenant toujours, par précaution, hors de la portée de ma chaîne. 
L'impératrice, les princes et princesses du sang, accompagnés de 
plusieurs dames, s'assirent à quelque distance dans des fauteuils. 
L'empereur est plus grand qu'aucun de sa cour, ce qui le fait redouter 
par ceux qui le regardent; les traits de son visage sont grands et mâles, 
avec une lèvre épaisse et un nez aquilin; il a un teint d'olive, un air
élevé, et des membres bien proportionnés, de la grâce et de la majesté 
dans toutes ses actions. Il avait alors passé la fleur de sa jeunesse, étant 
âgé de vingt-huit ans et trois quarts, dont il en avait régné environ sept. 
Pour le regarder avec plus de commodité je me tenais couché sur le 
côté, en sorte que mon visage pût être parallèle au sien; et il se tenait à 
une toise et demie loin de moi. Cependant, depuis ce temps-là, je l'ai eu 
plusieurs fois dans ma main; c'est pourquoi je ne puis me tromper dans 
le portrait que j'en fais. Son habit était uni et simple, et fait moitié à 
l'asiatique et moitié à l'européenne; mais il avait sur la tête un léger 
casque d'or, orné de joyaux et d'un plumet magnifique. Il avait son épée 
nue à la main, pour se défendre en cas que j'eusse brisé mes chaînes; 
cette épée était presque longue de trois pouces; la poignée et le fourreau 
étaient d'or et enrichis de diamants. Sa voix était aigre, mais claire et 
distincte, et je le pouvais entendre aisément, même quand je me tenais 
debout; Les dames et les courtisans étaient tous habillés superbement; 
en sorte que la place qu'occupait toute la cour paraissait à mes yeux 
comme une belle jupe étendue sur la terre, et brodée de figures d'or et 
d'argent. Sa Majesté impériale me fit l'honneur de me parler souvent; et 
je lui répondis toujours; mais nous ne nous entendions ni l'un ni l'autre. 
Au bout de deux heures, la cour se retira, et on me laissa une forte 
garde pour empêcher l'impertinence, et peut-être la malice de la 
populace, qui avait beaucoup d'impatience de se rendre en foule autour 
de moi pour me voir de près. Quelques-uns d'entre eux eurent 
l'effronterie et la témérité de me tirer des flèches, dont une pensa me 
crever l'oeil gauche. Mais le colonel fit arrêter six des principaux de 
cette canaille, et ne jugea point de peine mieux proportionnée à leur 
faute que de les livrer liés et garrottés dans mes mains. Je les pris donc 
dans ma main droite et en mis cinq dans la poche de mon justaucorps, 
et à l'égard du sixième, je feignis de le vouloir manger tout vivant. Le 
pauvre petit homme poussait des hurlements horribles, et le colonel 
avec ses officiers étaient fort en peine, surtout quand ils me virent tirer 
mon canif. Mais-je fis bientôt cesser leur frayeur, car, avec un air doux 
et humain, coupant promptement les cordes dont il était garrotté, je le 
mis doucement à terre, et il prit la fuite. Je traitai les autres de la même 
façon, les tirant successivement l'un après l'autre de ma poche. Je 
remarquai avec    
    
		
	
	
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