plaisir que les soldats et le peuple avaient été très
touchés de cette action d'humanité, qui fut rapportée à la cour d'une 
manière très avantageuse, et qui me fit honneur. 
La nouvelle de l'arrivée d'un homme prodigieusement grand, s'étant 
répandue dans tout le royaume, attira un nombre infini de gens oisifs et 
curieux; en sorte que les villages furent presque abandonnés, et que la 
culture de la terre en aurait souffert, si Sa Majesté impériale n'y avait 
pourvu par différents édits et ordonnances. Elle ordonna donc que tous 
ceux qui m'avaient déjà vu retourneraient incessamment chez eux, et 
n'approcheraient point, sans une permission particulière, du lieu de mon 
séjour. Par cet ordre, les commis des secrétaires d'État gagnèrent des 
sommes très considérables. 
Cependant l'empereur tint plusieurs conseils pour délibérer sur le parti 
qu'il fallait prendre à mon égard. J'ai su depuis que la cour avait été fort 
embarrassée. On craignait que je ne vinsse à briser mes chaînes et à me 
mettre en liberté; on disait que ma nourriture, causant une dépense 
excessive, était capable de produire une disette de vivres; on opinait 
quelquefois à me faire mourir de faim, ou à me percer de flèches 
empoisonnées; mais on fit réflexion que l'infection d'un corps tel que le 
mien pourrait produire la peste dans la capitale et dans tout le royaume. 
Pendant qu'on délibérait, plusieurs officiers de l'armée se rendirent à la 
porte de la grand'chambre où le conseil impérial était assemblé, et deux 
d'entre eux, ayant été introduits, rendirent compte de ma conduite à 
l'égard des six criminels dont j'ai parlé, ce qui fit une impression si 
favorable sur l'esprit de Sa Majesté et de tout le conseil, qu'une 
commission impériale fut aussitôt expédiée pour obliger tous les 
villages, à quatre cent cinquante toises aux environs de la ville, de 
livrer tous les matins six boeufs, quarante moutons et d'autres vivres 
pour ma nourriture, avec une quantité proportionnée de pain et de vin et 
d'autres boissons. Pour le payement de ces vivres, Sa Majesté donna 
des assignations sur son trésor. Ce prince n'a d'autres revenus que ceux 
de son domaine, et ce n'est que dans des occasions importantes qu'il 
lève des impôts sur ses sujets, qui sont obligés de le suivre à la guerre à 
leurs dépens. On nomma six cents personnes pour me servir, qui furent 
pourvues d'appointements pour leur dépense de bouche et de tentes 
construites très commodément de chaque côté de ma porte.
Il fut aussi ordonné que trois cents tailleurs me feraient un habit à la 
mode du pays; que six hommes de lettres, des plus savants de l'empire, 
seraient chargés de m'apprendre la langue, et enfin, que les chevaux de 
l'empereur et ceux de la noblesse et les compagnies des gardes feraient 
souvent l'exercice devant moi pour les accoutumer à ma figure. Tous 
ces ordres furent ponctuellement exécutés. Je fis de grands progrès dans 
la connaissance de la langue de Lilliput. Pendant ce temps-là 
l'empereur m'honora de visites fréquentes, et même voulut bien aider 
mes maîtres de langue à m'instruire. 
 
Les premiers mots que j'appris furent pour lui faire savoir l'envie que 
j'avais qu'il voulût bien me rendre ma liberté; ce que je lui répétais tous 
les jours à genoux. Sa réponse fut qu'il fallait attendre encore un peu de 
temps, que c'était une affaire sur laquelle il ne pouvait se déterminer 
sans l'avis de son conseil, et que, premièrement, il fallait que je 
promisse par serment l'observation d'une paix inviolable avec lui et 
avec ses sujets; qu'en attendant, je serais traité avec toute l'honnêteté 
possible. Il me conseilla de gagner; par ma patience et par ma bonne 
conduite, son estime et celle de ses peuples. Il m'avertit de ne lui savoir 
point mauvais gré s'il donnait ordre à certains officiers de me visiter, 
parce que, vraisemblablement, je pourrais porter sur moi plusieurs 
armes dangereuses et préjudiciables à la sûreté de ses États. Je répondis 
que j'étais prêt à me dépouiller de mon habit et à vider toutes mes 
poches en sa présence. Il me repartit que, par les lois de l'empire, il 
fallait que je fusse visité par deux commissaires; qu'il savait bien que 
cela ne pouvait se faire sans mon consentement; mais qu'il avait si 
bonne opinion de ma générosité et de ma droiture, qu'il confierait sans 
crainte leurs personnes entre mes mains; que tout ce qu'on m'ôterait me 
serait rendu fidèlement quand je quitterais le pays, ou que j'en serais 
remboursé selon l'évaluation, que j'en ferais moi-même. 
Lorsque les deux commissaires vinrent pour me fouiller, je pris ces 
messieurs dans mes mains, je les mis d'abord dans les poches de mon 
justaucorps et ensuite dans toutes mes autres poches. 
Ces officiers du prince, ayant des plumes, de l'encre et du papier sur
eux, firent un inventaire très exact de tout ce qu'ils virent;    
    
		
	
	
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