sur son épaule. 
--Y est-il? demanda Villefranche. 
--Oui, répliqua Nick, mais c'est un peu dur. Les cailloux m'entrent dans 
les chairs comme des clous. Dire qu'on se donne tant de mal pour des 
bêtises comme ça! ajouta-t-il en aparté. 
--Ainsi, dit Poignet-d'Acier, vous vous rappelez mes instructions? 
--Parfaitement, capitaine. Je descendrai les sacs au bâtiment, et je les 
remettrai à Louis-le-Bon qui les arrimera. 
--C'est cela; mais vous suivrez le sentier à gauche, près de l'ancienne 
entrée du souterrain. 
--Celle que vous avez bouchée en 1822 avec Jacques?
--Celle-là même. 
--Les Indiens ont dû avoir joliment peur quand ils ont entendu 
l'explosion; car vous aviez fait jouer une mine, n'est-ce pas, capitaine? 
On m'a conté cela dans le temps au fort Caoulis. 
--Oui, mais hâtez-vous, dit Villefranche d'une voix brève, comme si ce 
souvenir lui était importun. 
Le trappeur soupesa deux ou trois fois le sac pour l'assujettir plus 
solidement sur son omoplate, prit sa carabine à la main, examina 
l'amorce, et sortit de la salle en fredonnant le refrain de la chansonnette: 
Ann, Mary-Ann... etc. 
Ayant traversé un long couloir faiblement éclairé par quelques fissures 
pratiquées ça et là entre les rochers, il arriva au bout de cinq minutes à 
l'entrée de la caverne. Elle ouvrait sur un ravin profondément encaissé 
entre des masses de porphyre et était masquée par d'épais buissons de 
houx. 
En débouchant, Nick Whiffles jeta un coup d'oeil rapide dans le ravin, 
pour s'assurer que personne ne l'observait, puis il remonta d'un pas 
agile l'escarpement, malgré la pesanteur de sa charge. 
On était alors au commencement de l'automne. Il faisait beau, quoique 
le ciel fût marqueté par un réseau de petits nuages blancs comme le lait, 
qui se pourchassaient d'orient en occident. Une riche prairie étalait 
comme un cachemire de l'Inde ses brillantes couleurs au sommet de la 
falaise. Mille plantes odoriférantes embaumaient l'air, et des oiseaux, 
tapis sous les feuilles mordorées des arbres, ramageaient joyeusement, 
remplissant l'espace de leurs notes cristallines. 
--Et dire qu'il y a des gens qui préfèrent l'atmosphère écoeurante des 
villes et leur bruit discordant à ces enivrantes senteurs, à cette 
harmonieuse musique! pensait le trappeur, en s'avançant de toute la 
vitesse de ses grandes jambes vers un gros cap au delà duquel l'oeil 
planait sur un magnifique cours d'eau, lequel, embrasé par les chauds
rayons du soleil, ressemblait à une immense cuve d'or en ébullition. 
Tout à coup, et tandis que Nick Whiffles terminait sa réflexion, un cri 
aigu on plutôt un hurlement sinistre frappa son oreille. Il s'arrêta, arma 
sa carabine sans déposer son sac, et s'approcha du bord du cap. Au 
premier cri avaient succédé des clameurs épouvantables, que redisaient 
en lugubres échos les rochers du voisinage. Puis on entendit des 
plaintes déchirantes, des imprécations en français, en anglais, en indien; 
puis des détonations successives et le fracas d'un combat acharné. 
Le trappeur arriva à l'extrémité d'une plate-forme étroite, d'où la vue 
plongeait perpendiculairement sur le fleuve. Un spectacle étrange, 
hideux, se présenta soudain à lui. 
A cent pieds au-dessous de la pointe qu'il occupait, se balançait 
coquettement un joli brick de cinq à six cents tonneaux. Une nuée de 
canots, faits avec des troncs d'arbre, des peaux de buffle, ou même des 
nattes de jonc, entouraient ce brick. Les canots étaient montés par de 
grands Indiens osseux, tout nus, couverts de peintures effroyables, avec 
des colliers de griffes d'ours ou de coquillages à leurs cous, et des 
anneaux ou des os de poisson passés dans la cloison du nez. Pour armes 
ils avaient des arcs, des flèches, des massues, des lances, des javelots. 
La plupart portaient au bras gauche un bouclier ovale; quelques-uns 
étaient munis de carabines; tous avaient les cheveux relevés au sommet 
de la tête, serrés au moyen d'une corde, et retombant en une grosse 
touffe semblable à la queue d'un cheval sur leurs épaules cuivrées. 
Leurs embarcations se pressaient de plus en plus autour du navire, sur 
lequel ils faisaient pleuvoir une grêle de flèches. Plusieurs même, 
s'accrochant aux chaînes d'ancrage et aux porte-haubans, commençaient 
à l'escalader et assommaient à coups de tomahawks les malheureux 
matelots qui, attirés par le bruit, se montraient aux ouvertures des 
écoutilles. 
Surpris par cette attaque imprévue et presque tous avinés, ceux-ci 
songeaient à peine à se défendre, et périssaient misérablement sans 
avoir recouvré leur raison. Quelques-uns cependant, réfugiés sur le 
gaillard d'arrière, faisaient bonne contenance et répondaient 
vaillamment aux agresseurs.
--Les Nez-Percés! Ours et buffles! le bâtiment est perdu, murmura Nick 
Whiffles en apercevant les Indiens. Je cours prévenir Poignet-d'Acier, 
car, par malheur, il a fait enivrer ses gens, à l'exception du capitaine et 
du second, pour qu'ils ne fussent pas témoins de l'embarquement de cet 
or, et ils seront incapables de résister. 
Il jeta son sac à terre, le cacha sous des débris de niche et revint 
précipitamment à la    
    
		
	
	
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