faut pourtant que je songe à 
m'en aller.» Et comme je n'en voyais pas la raison, tu m'as représenté 
que tu étais peintre, que tu avais travaillé dix ans chez nous pour rendre 
ce que tu voyais et sentais dans la nature, et qu'il te devenait nécessaire 
d'aller chercher à Paris le contrôle de la pensée et de l'expérience des 
autres. Je t'ai laissé partir, mais à la condition que lu reviendrais passer 
ici tous les étés. Dès à présent, n'oublie pas cela non plus. Je t'envoie ce 
roman comme un son lointain de nos cornemuses, pour te rappeler que 
les feuilles poussent, que les rossignols sont arrivés, et que la grande
fête printanière de la nature va commencer aux champs. 
GEORGE SAND. 
Nohant, le 17 avril 1853. 
* * * * * 
 
LES MAÎTRES SONNEURS 
 
Première veillée. 
Je ne suis point né d'hier, disait, en 1828, le père Étienne. Je suis venu 
en ce monde, autant que je peux croire, l'année 54 ou 55 du siècle passé. 
Mais, n'ayant pas grande souvenance de mes premiers ans, je ne vous 
parlerai de moi qu'à partir du temps de ma première communion, qui 
eut lieu en 70, à la paroisse de Saint-Chartier, pour lors desservie par 
monsieur l'abbé Montpérou, lequel est aujourd'hui bien sourd et bien 
cassé. 
Ce n'est pas que notre paroisse de Nohant fût supprimée dans ce 
temps-là; mais notre curé étant mort, il y eut, pour un bout de temps, 
réunion des deux églises sous la conduite du prêtre de Saint-Chartier, et 
nous allions tous les jours à son catéchisme, moi, ma petite cousine, un 
gars appelé Joseph, qui demeurait en la même maison que mon oncle, 
et une douzaine d'autres enfants de chez nous. 
Je dis mon oncle pour abréger, car il était mon grand-oncle, frère de ma 
grand'mère, et avait nom Brulet, d'où sa petite-fille, étant seule héritière 
de son lignage, était appelée Brulette, sans qu'on fît jamais mention de 
son nom de baptême, qui était Catherine. 
Et pour vous dire tout de suite les choses comme elles étaient, je me 
sentais déjà d'aimer Brulette plus que je n'y étais obligé comme cousin, 
et j'étais jaloux de ce que Joseph demeurait avec elle dans un petit logis
distant d'une portée de fusil des dernières maisons du bourg, et du mien 
d'un quart de lieue de pays: de manière qu'il la voyait à toute heure, et 
qu'avant le temps qui nous rassembla au catéchisme, je ne la voyais pas 
tous les jours. 
Voici comment le grand-père à Brulette et la mère à Joseph 
demeuraient sous même chaume. La maison appartenait au vieux, et il 
en avait loué la plus petite moitié à cette femme veuve qui n'avait pas 
d'autre enfant. Elle s'appelait Marie Picot, et était encore mariable, car 
elle n'avait pas dépassé de grand'chose la trentaine, et se ressouvenait 
bien, dans son visage et dans sa taille, d'avoir été une très-jolie femme. 
On la traitait encore, par-ci, par-là, de la belle Mariton, ce qui ne lui 
déplaisait point, car elle eût souhaité se rétablir en ménage; mais 
n'ayant rien que son oeil vif et son parler clair, elle s'estimait heureuse 
de ne pas payer gros pour sa locature, et d'avoir pour propriétaire et 
pour voisin un vieux homme juste et secourable, qui ne la tourmentait 
guère et l'assistait souvent. 
Le père Brulet et la veuve Picot, dite Mariton, vivaient ainsi en bonne 
estime l'un de l'autre depuis une douzaine d'années, c'est-à-dire depuis 
le jour où, la mère à Brulette étant morte en la mettant au monde, cette 
Mariton avait soigné et élevé l'enfant avec autant d'amour et d'égard 
que le sien propre. 
Joseph, qui avait trois ans de plus que Brulette, s'était vu bercer dans la 
même crèche, et la pouponne avait été le premier fardeau qu'on eût 
confié à ses petits bras. Plus tard, le père Brulet, voyant sa voisine 
gênée d'avoir ces deux enfants déjà forts à surveiller, avait pris chez lui 
le garçon, si bien que la petite dormait auprès de la veuve et le petit 
auprès du vieux. 
Tous quatre, d'ailleurs, mangeaient ensemble, la Mariton apprêtant les 
repas, gardant la maison et rhabillant les nippes, tandis que le vieux, 
qui était encore solide au travail, allait en journée, et fournissait au plus 
gros de la dépense. 
Ce n'est pas qu'il fût bien riche et que le vivre fût bien conséquent; mais 
cette veuve aimable et de bon coeur lui faisait honnête compagnie, et
Brulette la regardait si bien comme sa mère, que mon oncle s'était 
accoutumé à la regarder comme sa fille ou tout au moins comme sa bru. 
Il n'y avait rien au monde de si gentil et de si mignon que la petite fille 
ainsi élevée par Mariton. Comme cette femme aimait la propreté et se 
tenait toujours aussi brave que    
    
		
	
	
	Continue reading on your phone by scaning this QR Code
 
	 	
	
	
	    Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the 
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.
	    
	    
