à cette famille, qui était loin de penser que Dieu lui enverrait de si promptes consolations.
Resté seul, le capitaine crut qu’il avait fait un rêve. Il regarda autour de lui?; la blanche vision avait disparu, et, n’e?t été sa main, encore émue de la douce pression qu’elle venait d’éprouver, et la bourse absente de son gousset, il se serait cru le jouet d’une apparition fiévreuse. En ce moment, M. Sanders traversa par hasard l’allée, et, contre son habitude, le capitaine l’appela. M. Sanders se retourna étonné. Sir édouard lui fit de la main un signe qui confirma par la vue le témoignage auriculaire auquel il avait peine à croire, et M. Sanders s’approcha du capitaine, qui lui demanda, avec une vivacité dont sa voix avait perdu depuis longtemps l’habitude, quelle était la personne qui venait de s’éloigner.
– C’est Anna-Mary, répondit l’intendant, comme s’il n’était pas permis d’ignorer quelle était la femme qu’il désignait par ces deux noms.
– Mais qu’est-ce que Anna-Mary?? demanda le capitaine.
– Comment?! Votre Seigneurie ne la conna?t pas?? répondit le digne M. Sanders.
– Eh?! pardieu?! non, répliqua le capitaine avec une impatience du meilleur augure?; je ne la connais pas, puisque je vous demande qui elle est.
– Qui elle est, Votre Honneur?? La Providence descendue sur la terre, l’ange des pauvres et des affligés. Elle venait solliciter Votre Seigneurie pour une bonne action, n’est-ce pas??
– Oui, je crois qu’elle m’a parlé de malheureux qu’il fallait sauver de la misère.
– C’est cela, Votre Honneur?; elle n’en fait jamais d’autres. Toutes les fois qu’elle appara?t chez le riche, c’est au nom de la charité?; toutes les fois qu’elle entre chez le pauvre, c’est au nom de la bienfaisance.
– Et qui est cette femme??
– Sauf le respect que je dois à Votre Seigneurie, elle est encore demoiselle?; une digne et bonne demoiselle, Votre Honneur.
– Eh bien, femme ou fille, je vous demande qui elle est.
– Personne ne le sait précisément, Votre Honneur, quoique tout le monde s’en doute. Il y a une trentaine d’années, oui, c’était en l764 ou 1766, son père et sa mère vinrent s’établir dans le Derbyshire?; ils arrivaient de France, où, disait-on, ils avaient suivi la fortune du Prétendant?; ce qui fait que leurs biens étaient confisqués, et qu’ils ne pouvaient s’approcher de soixante milles de Londres. La mère était enceinte, et, quatre mois après son établissement dans le pays, elle donna naissance à la petite Anna-Mary. à l’age de quinze ans, la jeune fille perdit ses parents à quelque intervalle l’un de l’autre, et se trouva seule avec une petite rente de quarante livres sterling. C’était trop peu pour épouser un seigneur, c’était trop pour être la femme d’un paysan. D’ailleurs, le nom que probablement elle porte, et l’éducation qu’elle avait re?ue, ne lui permettaient pas de se mésallier?; elle resta donc fille, et résolut de consacrer sa vie à la charité. Depuis lors, elle n’a point failli à la mission qu’elle s’était imposée. Quelques études médicales lui ont ouvert les portes des pauvres malades, et, là où sa science ne peut plus rien, sa prière est, dit-on, toute-puissante?; car Anna-Mary, Votre Honneur, est regardée par tout le monde comme une sainte devant Dieu. Il n’est donc pas étonnant qu’elle se soit permis de déranger Votre Seigneurie, ce que personne de nous n’aurait osé faire?; mais Anna-Mary a ses privilèges, et un de ses privilèges est de pénétrer partout sans que les domestiques se permettent de l’arrêter.
– Et ils font bien, dit sir édouard en se levant, car c’est une brave et digne créature. Donnez-moi le bras, monsieur Sanders?; je crois qu’il est l’heure de d?ner.
C’était la première fois, depuis plus d’un mois, que le capitaine s’apercevait que la cloche était en retard sur son appétit. Il rentra donc, et, comme, au moment où il l’avait arrêté, M. Sanders retournait chez lui pour se mettre a table, le capitaine le retint au chateau. Le digne intendant était trop heureux de ce retour à la sociabilité pour ne pas accepter à l’instant même?; et, jugeant par les questions que sir édouard lui avait adressées qu’il était, contre son habitude, en disposition de parler, il profita de l’occasion pour l’entretenir de plusieurs affaires d’intérêt que la maladie l’avait forcé de laisser en suspens. Mais, soit que l’esprit de loquacité du capitaine f?t passé, soit que l’intendant touchat des sujets qu’il croyait indignes de son intérêt, le malade ne répondit mot?; et, comme si les paroles qu’il entendait n’étaient qu’un vain bruit, il retomba dans sa taciturnité habituelle, dont, pendant tout le reste de la matinée, aucune distraction ne put le tirer.
CHAPITRE IV
La nuit se passa comme de coutume, et sans que Tom s’aper??t d’aucun changement dans l’état du malade?; le jour se leva triste et nébuleux. Tom essaya de s’opposer à la promenade du capitaine, craignant l’effet

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