latin, chez Foyot. Quelle bonne soirée! Rouletabille avait téléphoné à Robert Darzac qui vint nous rejoindre au dessert. à cette époque, M. Darzac n'était point trop souffrant et l'étonnant Brignolles n'avait pas encore fait son apparition dans la capitale. On s'amusa comme des enfants. Ce soir d'été était si beau et si doux dans le Luxembourg solitaire.
Avant de quitter Mlle Stangerson, Rouletabille lui demanda pardon de l'humeur bizarre qu'il montrait quelquefois et s'accusa d'avoir, au fond, un très méchant caractère. Mathilde l'embrassa et Robert Darzac aussi l'embrassa. Et il en fut si ému que, durant le temps que je le reconduisis jusqu'à sa porte, il ne me dit point un mot; mais, au moment de nous séparer, il me serra la main comme jamais encore il ne l'avait fait. Dr?le de petit bonhomme!... Ah! si j'avais su!... Comme je me reproche maintenant de l'avoir, par instants, à cette époque, jugé avec un peu trop d'impatience...
Ainsi, triste, triste, assailli de pressentiments que j'essayais en vain de chasser, je revenais de la gare de Lyon, me remémorant les innombrables fantaisies, bizarreries, et quelquefois douloureux caprices de Rouletabille au cours de ces deux dernières années, mais rien, cependant, rien de tout cela ne pouvait me faire prévoir ce qui venait de se passer, et encore moins me l'expliquer. Où était Rouletabille? Je m'en fus à son h?tel, boulevard Saint-Michel, me disant que si, là encore, je ne le trouvais pas, je pourrais, au moins, laisser la lettre de Mme Darzac. Quelle ne fut pas ma stupéfaction, en entrant dans l'h?tel, d'y trouver mon domestique portant ma valise! Je le priai de m'expliquer ce que cela signifiait, et il me répondit qu'il n'en savait rien: qu'il fallait le demander à M. Rouletabille.
Celui-ci, en effet, pendant que je le cherchais partout, excepté, naturellement, chez moi, s'était rendu à mon domicile, rue de Rivoli, s'était fait conduire dans ma chambre par mon domestique, lui avait fait apporter une valise et avait soigneusement rempli cette valise de tout le linge nécessaire à un honnête homme qui se dispose à partir en voyage pour quatre ou cinq jours. Puis, il avait ordonné à mon godiche de transporter ce petit bagage, une heure plus tard, à son h?tel du boul'Mich'. Je ne fis qu'un bond jusqu'à la chambre de mon ami où je le trouvai en train d'empiler méticuleusement dans un sac de nuit des objets de toilette, du linge de jour et une chemise de nuit. Tant que cette besogne ne fut point terminée, je ne pus rien tirer de Rouletabille, car, dans les petites choses de la vie courante, il était volontiers maniaque et, en dépit de la modestie de ses ressources, tenait à vivre fort correctement, ayant l'horreur de tout ce qui touchait de près ou de loin à la bohème. Il daigna enfin m'annoncer que ?nous allions prendre nos vacances de Paques?, et que, puisque j'étais libre et que son journal l'époque lui accordait un congé de trois jours, nous ne pouvions mieux faire que d'aller nous reposer ?au bord de la mer?. Je ne lui répondis même pas, tant j'étais furieux de la fa?on dont il venait de se conduire, et aussi tant je trouvais stupide cette proposition d'aller contempler l'océan ou la Manche par un de ces temps abominables de printemps qui, tous les ans, pendant deux ou trois semaines, nous font regretter l'hiver. Mais il ne s'émut point outre mesure de mon silence, et, prenant ma valise d'une main, son sac de l'autre, me poussant dans l'escalier, il me fit bient?t monter dans un fiacre qui nous attendait devant la porte de l'h?tel. Une demi- heure plus tard, nous nous trouvions tous deux dans un compartiment de première classe de la ligne du Nord, qui roulait vers Le Tréport, par Amiens. Comme nous entrions en gare de Creil, il me dit:
?Pourquoi ne me donnez-vous pas la lettre que l'on vous a remise pour moi??
Je le regardai. Il avait deviné que Mme Darzac aurait une grande peine de ne l'avoir point vu au moment de son départ et qu'elle lui écrirait. ?a n'était pas bien malin. Je lui répondis:
?Parce que vous ne le méritez pas.?
Et je lui fis d'amers reproches auxquels il ne prit point garde. Il n'essaya même pas de se disculper, ce qui me mit plus en colère que tout. Enfin, je lui donnai la lettre. Il la prit, la regarda, en respira le doux parfum. Comme je le considérais avec curiosité, il fron?a les sourcils, dissimulant, sous cette mine rébarbative, une émotion souveraine. Mais il ne put finalement me la cacher qu'en s'appuyant le front à la vitre et en s'absorbant dans une étude approfondie du paysage.
?Eh bien, lui demandai-je, vous ne la lisez pas?
-- Non, me répondit-il, pas ici!... Mais là-bas!...?
Nous arrivames au Tréport en pleine nuit noire, après

Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.