lui faire entendre nos souhaits de bon voyage. La fille du professeur Stangerson jeta un long regard sur le quai et, dans le moment que le train commen?ait à accélérer sa marche, s?re désormais qu'elle ne verrait plus, avant son départ, son petit ami, elle me tendit une enveloppe, par la portière...
?Pour lui!? fit-elle...
Et elle ajouta, soudain, avec une figure envahie d'un si subit effroi, et sur un ton si étrange que je ne pus m'empêcher de songer aux néfastes réflexions de Brignolles.
?Au revoir, mes amis!... ou adieu!?
II Où il est question de l'humeur changeante de Joseph Rouletabille.
En revenant, seul, de la gare, je ne pus que m'étonner de la singulière tristesse qui m'avait envahi, sans que j'en pusse démêler précisément la cause. Depuis le procès de Versailles, aux péripéties duquel j'avais été si intimement mêlé, j'avais lié tout à fait amitié avec le professeur Stangerson, sa fille et Robert Darzac. J'aurais d? être particulièrement heureux d'un événement qui semblait satisfaire tout le monde. Je pensai que l'extraordinaire absence du jeune reporter devait être pour quelque chose dans cette sorte de prostration. Rouletabille avait été traité par les Stangerson et M. Darzac comme un sauveur. Et, surtout, depuis que Mathilde était sortie de la maison de santé où le désarroi de son esprit avait nécessité pendant plusieurs mois des soins assidus, depuis que la fille de l'illustre professeur avait pu se rendre compte du r?le extraordinaire joué par cet enfant dans un drame où, sans lui, elle e?t inévitablement sombré avec tous ceux qu'elle aimait, depuis qu'elle avait lu avec toute sa raison, enfin recouvrée, le compte rendu sténographié des débats où Rouletabille apparaissait comme un petit héros miraculeux, il n'était point d'attentions quasi maternelles dont elle n'e?t entouré mon ami. Elle s'était intéressée à tout ce qui le touchait, elle avait excité ses confidences, elle avait voulu en savoir sur Rouletabille plus que je n'en savais et plus peut- être qu'il n'en savait lui-même. Elle avait montré une curiosité discrète mais continue relativement à une origine que nous ignorions tous et sur laquelle le jeune homme avait continué de se taire avec une sorte de farouche orgueil. Très sensible à la tendre amitié que lui témoignait la pauvre femme, Rouletabille n'en conservait pas moins une extrême réserve et affectait, dans ses rapports avec elle, une politesse émue qui m'étonnait toujours de la part d'un gar?on que j'avais connu si primesautier, si exubérant, si entier dans ses sympathies ou dans ses aversions. Plus d'une fois, je lui en avais fait la remarque, et il m'avait toujours répondu d'une fa?on évasive en faisant grand étalage, cependant, de ses sentiments dévoués pour une personne qu'il estimait, disait-il, plus que tout au monde, et pour laquelle il e?t été prêt à tout sacrifier si le sort ou la fortune lui avaient donné l'occasion de sacrifier quelque chose pour quelqu'un. Il avait aussi des moments d'une incompréhensible humeur. Par exemple, après s'être fait, devant moi, une fête d'aller passer une grande journée de repos chez les Stangerson qui avaient loué pour la belle saison -- car ils ne voulaient plus habiter le Glandier -- une jolie petite propriété sur les bords de la Marne, à Chennevières, et après avoir montré, à la perspective d'un si heureux congé, une joie enfantine, il lui arrivait de se refuser, tout à coup, sans aucune raison apparente, à m'accompagner. Et je devais partir seul, le laissant dans la petite chambre qu'il avait conservée au coin du boulevard Saint-Michel et de la rue Monsieur- le-Prince. Je lui en voulais de toute la peine qu'il causait ainsi à cette bonne Mlle Stangerson. Un dimanche, celle-ci, outrée de l'attitude de mon ami, résolut d'aller le surprendre avec moi dans sa retraite du quartier Latin.
Quand nous arrivames chez lui, Rouletabille, qui avait répondu par un énergique: ?Entrez!? au coup que j'avais frappé à sa porte, Rouletabille, qui travaillait à sa petite table, se leva en nous apercevant et devint si pale... si pale que nous cr?mes qu'il allait défaillir.
?Mon Dieu!? s'écria Mathilde Stangerson en se précipitant vers lui. Mais, plus prompt qu'elle encore, avant qu'elle ne f?t arrivée à la table où il s'appuyait, il avait jeté sur les papiers qui s'y trouvaient éparpillés une serviette de maroquin qui les dissimula entièrement.
Mathilde avait vu, naturellement, le geste. Elle s'arrêta, toute surprise.
?Nous vous dérangeons? fit-elle sur un ton de doux reproche.
-- Non! répondit-il, j'ai fini de travailler. Je vous montrerai ?a plus tard. C'est un chef-d'oeuvre, une pièce en cinq actes dont je n'arrive pas à trouver le dénouement.?
Et il sourit. Bient?t il redevint tout à fait ma?tre de lui et nous dit cent dr?leries en nous remerciant d'être venus le troubler dans sa solitude. Il voulut absolument nous inviter à d?ner et nous allames tous trois manger dans un restaurant du quartier

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