du reste, que des amours de passage ... et qu'il y avait longtemps qu'il était oublié de celles qu'il avait, comme l'on dit, honorées de ses faveurs.
Quelle était cette femme, dont il lui avait si soigneusement caché l'existence? D'où sortait-elle? Elle n'avait pas l'air d'une de ces femmes avec lesquelles on passe un caprice et que l'on quitte sans y plus songer.
Sa mise était décente. Elle avait tous les aspects d'une femme tranquille, honnête. Etait-ce vrai que Jacques de Brécourt lui avait fait des promesses et qu'il était sur le point de la trahir?
Madame de Frémilly, pouvant à peine dissimuler le trouble qui l'avait saisie, demanda:
--Mais il y a longtemps?
--Longtemps?...
--Longtemps que M. de Brécourt a rompu avec vous?
--Il n'a pas rompu, madame.
--Pas rompu?
--Non, madame. Il m'a laissé tout ignorer jusqu'à aujourd'hui.... Et c'est par d'autres que j'ai appris....
--Mais vous ne le voyez plus?
--Plus rarement qu'autrefois ... mais il vient encore.
--Chez vous?
--Oui, madame.
Madame de Frémilly s'était levée.
Elle était devenue fort blême.
L'indignation plissait sa chair, mettait en ses yeux de rouges flammes.
Elle s'écria:
--C'est impossible!
--Je n'ai pas d'intérêt à vous mentir, madame, dit doucement l'inconnue.... Je souffre assez.... Et, si vous doutez de ma parole....
Elle sortit de son sein une photographie et la tendit à la baronne.
Celle-ci y jeta les yeux, devint plus livide encore et demanda:
--Qu'est-ce que c'est que ?a?
--Lui, M. de Brécourt.
--Oui, je le vois, je le reconnais.
--Et moi....
--Oui, je vous reconnais aussi.
--Et notre enfant....
--Vous avez un enfant?
--Oui, madame, un gar?on.
--Le malheureux! gémit la douairière.
--Et vous voyez, madame, expliqua l'inconnue, qu'il n'y a pas longtemps que la photographie a été faite; la date est au bas.
--Oui, dit la baronne, songeuse, quelques mois à peine. Oh! le misérable, comme il nous a trompées! comme il ment!
Puis, avec violence, s'adressant à l'inconnue:
--Rentrez chez vous, madame. Je vous renverrai ce soir votre amant, le père de votre fils!
Et, du doigt, elle indiqua la porte à la visiteuse qui sortit, ne demandant pas autre chose, car elle avait réussi et avait peine à cacher la joie qui brillait sur ses traits.
Elle voulut reprendre la photographie.
--Voulez-vous me la laisser, madame? demanda la baronne.
--Certainement, madame.... Pourtant, je n'en ai pas d'autre.
--Vous pourrez en faire refaire, maintenant, puisque rien ne le retiendra plus ici et qu'il va vous revenir.
--Qui sait? murmura la femme.
Et elle sortit en poussant un profond soupir ... pendant que madame de Frémilly se laissait tomber, accablée, sur un canapé.
Qu'allait-elle faire?
Oh! pas d'hésitation possible!... Rompre! Chasser cet homme! Le chasser comme un laquais, dont il avait les sentiments, dont il avait la bassesse et la fausseté!
Mais Laurence, Laurence qui l'aimait!... Quelle douleur!
La pauvre grand'mère sentit des larmes amères, des larmes br?lantes monter à ses yeux, gonfler ses paupières, ruisseler sur ses joues.
Mais c'était le devoir.
Elle devait défendre avant tout l'avenir, le bonheur de sa petite-fille.
Elle ne lui révélerait rien, de peur de lui faire trop de peine, mais elle la séparerait à jamais de ce misérable qui songeait déjà peut-être, avant qu'elle f?t sa femme, à la trahir et qui la trahirait s?rement le lendemain de son mariage.
Ah! le passé! le passé!
Et la douairière plongea sa tête dans ses mains, s'ab?mant dans le plus sombre désespoir.
Elle avait tant prié! Elle avait pris tant de précautions pour que sa petite-fille f?t heureuse! Et voilà que les larmes déjà allaient commencer pour elle; les déceptions, les trahisons, tous les chagrins qui sont le lot ordinaire des femmes, dont madame de Frémilly avait tant souffert pour elle-même et dont elle aurait tant voulu préserver celle qu'elle aimait!
Laurence-Marie-Thérèse de Frémilly, car madame de Frémilly se nommait Laurence, comme sa petite-fille, dont elle avait été la marraine. Laurence-Marie-Thérèse de Frémilly avait été une des victimes de l'amour, une des victimes, trop nombreuses, hélas, de la duplicité et de l'infidélité des hommes.
Dernière descendante de la famille illustre des l'Oléron-Courlange, jeune, belle, riche, elle s'était éprise, à seize ans, du baron André-Constant de Frémilly--il s'appelait Constant!--un des beaux de la cour de Louis-Philippe, blasé, ruiné, mais un des rois de l'élégance et qui avait, à cheval, la plus fière tenue qu'e?t jamais eue un gentilhomme à éperon et à cravache.... Elle l'adora, l'épousa malgré l'opposition de tous les siens, et fut délaissée, trahie pour une dr?lesse dont son mari était l'amant avant son mariage, huit jours après son union, célébrée en grande pompe, où le roi s'était fait représenter et à laquelle toute la cour avait assisté.... Elle passa dans les larmes, dans les affres d'une torturante jalousie les plus belles années de sa jeunesse et, si elle n'avait pas eu son fils, le baron Henri de Frémilly, auquel elle consacra désormais son existence, peut-être e?t-elle succombé au chagrin et aux rages silencieuses qui la minaient.
Jamais elle ne devait oublier ces cruelles années passées près de cet homme qu'elle aimait, malgré tout, qui n'avait pas l'air de savoir même qu'elle existat et

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