j'ignore encore.
Je compris que je ne la toucherais pas, que j'aurais avec plus d'espoir imploré un marbre et que je ne saurais rien.
Ses yeux, son geste, tout son être me poussaient dehors.
Je ne résistai plus. Et je sortis.
Je sentais que j'allais m'évanouir de douleur.
La porte franchie, je demeurai un moment étourdi, comme assommé, puis je me décidai à descendre; comme je te l'ai dit, j'ai songé tout d'abord à me noyer, puis j'ai pensé à toi, à ton amitié....
--Que puis-je faire?
--Voir madame de Frémilly, l'interroger sur les raisons de cette singulière rupture qui me brise à la fois le corps et l'ame. Voir mademoiselle de Frémilly ... lui apprendre ... et savoir si elle approuve la conduite de sa grand'mère, si elle aussi me rejette.
--Je les verrai, dit le gros Mareuil, ému, aujourd'hui même, je te le promets; à moins....
--A moins?...
--A moins qu'elles ne me re?oivent pas.
--Pour quel motif?
--Je ne sais pas.... Mais je ferai mon possible pour les voir ... pour leur parler.
--Après, fit Jacques, si je n'ai plus rien à espérer....
Un geste significatif compléta sa phrase.
Mareuil ne le releva pas.
Il se sentait impuissant devant un pareil abattement, un si complet effondrement d'un être qu'il croyait fort.
Le feu s'éteignait. Une lueur de jour palissait les fenêtres.
--Tu devrais, dit Mareuil, te reposer un peu.
--Me reposer! murmura Jacques de Brécourt.
Et il jeta à son ami un regard si plein d'angoisse et qui disait si clairement qu'il n'y avait plus pour lui de repos et de calme, que Mareuil frissonna.
--Ah! l'amour! l'amour! fit-il pour cacher son émotion.
Et il ne parla plus.
Il laissa Jacques, qui s'était jeté sur un canapé, plongé dans ses réflexions, ab?mé dans sa douleur sans nom.
III
Au cours de la journée qui avait précédé ce que Jacques de Brécourt appelait une catastrophe--et la plus terrible, la plus complète des catastrophes--au cours de cette journée, la baronne douairière de Frémilly--car madame de Frémilly était baronne, bien qu'elle portat rarement son titre--était seule dans le petit salon où elle avait coutume de recevoir, avec sa fille, Jacques de Brécourt--un petit salon Louis XVI un peu fané, mais qui avait été fort luxueux et que Laurence ornait en toutes saisons de fleurs fra?ches,--quand une des servantes vint la prévenir qu'une dame désirait lui parler tout de suite en particulier.
Madame de Frémilly posa sur un petit meuble le livre qu'elle lisait et demanda:
--A-t-elle dit son nom?
--Non, madame la baronne; elle prétend que c'est inutile, que madame la baronne ne la conna?t pas, mais qu'elle a des choses urgentes à dire à madame la baronne, et que madame la baronne ne sera pas fachée de conna?tre.... C'est une dame très bien ... tout en noir ... qui a le visage fort triste.
Madame de Frémilly pensa que c'était peut-être quelque solliciteuse qui avait besoin de ses services.
Et elle demanda:
--Où est Laurence?
--Mademoiselle est dans son atelier, en train de dessiner.
--Fais entrer cette dame, dit la baronne. Et elle attendit la visiteuse.
--Celle-ci se montra bient?t.
Elle entra avec hésitation, paraissant fort timide.
Elle semblait jeune, assez jolie, le regard humble et triste, et ses vêtements noirs faisaient ressortir davantage la blancheur de son teint qui était fort pale.
Elle s'inclina gracieusement devant madame de Frémilly.
Et, avant de prononcer une parole, elle demanda:
--Nous sommes bien seules, madame?
--Certainement, dit la grand'mère de Laurence, un peu étonnée.
--Personne ne peut nous entendre?
--Personne, madame.
Et la baronne dit à la domestique, qui était restée là:
--Veille, Suzanne, à ce qu'on ne nous dérange pas!
--Oui, madame.
La servante sortie, madame de Frémilly indiqua un siège de la main à la femme en noir, en lui disant:
--Veuillez vous asseoir, madame, et me dire ce qui vous amène.
La visiteuse semblait hésiter à parler.
Elle releva davantage sa voilette, qu'elle avait seulement levée à demi, et elle commen?a:
--J'ai appris, madame--oh! très indirectement--que mademoiselle de Frémilly, votre petite-fille, allait épouser bient?t M. Jacques de Brécourt.... Est-ce vrai?
--Rien n'est plus vrai, madame.
--Ah! fit la visiteuse.
Et une contraction passa sur sa face et la palit encore.
La baronne de Frémilly, qui commen?ait à être inquiète et qui regardait l'inconnue avec un air inquisiteur, demanda:
--Vous connaissez M. de Brécourt?
--Oui, madame, pour mon malheur.
Madame de Frémilly tressaillit.
--Pour votre malheur?
--Oui, si ce que l'on m'a dit est vrai ... et je vois maintenant que c'est vrai, puisque vous venez vous-même de me le confirmer.
La baronne fixait l'inconnue avec une attention où il y avait presque de l'égarement et de l'effroi.
Elle s'écria:
--Vous êtes donc?...
--J'ai été la ma?tresse de M. de Brécourt. Et je croyais bien être sa femme un jour ... comme il me l'avait juré ... mais les serments des hommes!...
La visiteuse porta la main à ses yeux ... et la baronne s'aper?ut qu'elle pleurait.
Elle était fort émue. Cette révélation bouleversait tous ses projets, emplissait son ame d'angoisse.
Brécourt lui avait donc menti en lui affirmant, comme il l'avait fait, qu'il avait rompu depuis longtemps avec toutes ses liaisons, qu'il n'avait eu,

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