Le lys noir | Page 9

Jules de Gastyne
qui allait porter à d'autres des attentions et une ardeur qu'elle aurait été si heureuse de voir réserver pour elle.
Le baron fut tué en duel--pour une autre!--et quand on le rapporta chez elle, la poitrine trouée, prêt à rendre le dernier soupir, c'est le nom d'une autre, d'une rivale, qu'elle recueilli, sur ses lèvres!
Elle vécut dès lors dans la solitude, toute à son fils, et refusa obstinément, avec une sorte d'horreur, tous les prétendants qui se présentèrent.
Elle avait aimé une fois. Elle avait été dé?ue. Elle ne voulait pas recommencer une aussi cruelle expérience. Elle aurait voulu conserver son fils dans ses idées, lui inspirer aussi la terreur du mariage, mais il s'éprit tout jeune d'une jeune fille qu'il ne pouvait qu'épouser et il supplia sa mère de lui accorder son consentement.
Elle ne résista pas à ses prières.... Et de cette union, qui fut heureuse, mais courte, naquit Laurence. Puis le baron mourut, suivi de près dans la tombe par sa jeune femme, et de nouveau madame de Frémilly resta seule avec Laurence à élever.
Dès qu'elle vit celle-ci en age de se marier, dès qu'elle s'aper?ut qu'on l'avait remarquée, et que bient?t peut-être on allait chercher à la lui enlever, l'épouvante entra dans son ame.... Et quand Jacques de Brécourt se fut déclaré et qu'elle eut appris quelle vie orageuse il avait menée jusque-là, les plus vives appréhensions l'envahirent.
--C'est tout à fait le baron de Frémilly, pensa-t-elle.... Le sort de Laurence va être semblable au mien.
Et elle s'effor?a de préserver sa petite-fille des poursuites de M. de Brécourt. Mais c'est en vain qu'on essaye de lutter contre l'amour.... On n'y échappe pas plus, quand il doit s'abattre sur quelqu'un, qu'on n'échappe au destin et à la foudre ... et bient?t la baronne fut obligée de s'avouer que Laurence aimait.
Elle surveilla alors plus attentivement Jacques de Brécourt, se rassura un peu en voyant combien sa passion était profonde et sincère, quels changements elle avait apportés dans son existence jusque-là vouée au désordre, et elle avait fini, en présence du chagrin qu'elle voyait envahir sa petite-fille, et la ronger lentement, par ouvrir à Jacques de Brécourt les portes de son h?tel.
Peu à peu, la douairière avait été gagnée par la bonne grace, par la loyauté de l'amoureux et elle commen?ait à lui rendre toute sa confiance quand s'était produite la visite que nous avons racontée.
Alors, tout changea.... La grand'mère fut reprise de toutes ses craintes.... C'était son sort qui attendait la pauvre Laurence ... sa petite-fille adorée. Jacques de Brécourt ne valait pas mieux que le baron de Frémilly, que tous les autres hommes. Il avait joué une comédie infame.... Il mentait mieux que les autres, sans doute.... Là était toute sa supériorité.... Mais il mentait ... et il n'en était que plus dangereux puisqu'on se laissait tromper par ses apparences de sincérité.
Toutefois, avant de rompre, la baronne résolut de l'observer encore. Il devait venir passer la soirée à l'h?tel.... Elle l'étudierait une dernière fois ... et d'après l'observation qu'elle ferait de son caractère, de sa duplicité,--elle croyait à sa duplicité,--elle prendrait une décision, même sans prévenir sa petite-fille ... car elle voulait préserver celle-ci de l'existence qu'elle avait menée elle-même.
Cette soirée, la dernière qu'il devait passer près de Laurence ... avait été fatale à Jacques de Brécourt. L'esprit prévenu par la visite qu'elle avait re?ue et persuadée que Jacques de Brécourt les trompait toutes les deux, sa petite-fille et elle, madame de Frémilly interpréta toutes les paroles du jeune homme, ses plus chaleureuses protestations et ses plus sincères serments d'amour éternel, dans un sens qui lui fut défavorable.
Elle se disait:
--Comme il ment bien!
Elle avait fait une ou deux allusions très discrètes à la visite re?ue.
Et Brécourt, qui n'avait pas compris, avait eu pour elle l'air de ne pas vouloir comprendre.
Elle avait été atterrée de tant de perfection dans la dissimulation.
Dès lors, et avant même que Laurence f?t sortie, son parti était pris.
Il fallait arracher sa petite-fille aux trahisons, aux duperies, aux lachetés basses de cet homme.
Il était plus redoutable peut-être que le baron de Frémilly, car il était plus perfide et plus habile. C'est du moins ce que pensa la malheureuse grand'mère, et on a vu ce qui s'ensuivit, comment elle procéda à l'exécution de l'amour le plus saint, le plus pur et le plus haut peut-être qui e?t germé et se f?t développé dans deux coeurs dignes l'un de l'autre, l'un pur comme la fleur épanouie au premier printemps, l'autre qu'une flamme de passion avait purifié ainsi qu'un métal souillé passé dans un feu ardent d'où il sort plus brillant et plus net.
La femme vêtue de noir qui avait joué à madame de Frémilly l'atroce comédie que nous avons vue, et qui avait brisé peut-être pour toujours l'idéal bonheur ... le bonheur violent, selon l'expression de Michelet, dont jouissaient Laurence
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 88
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.