et mille riens qui font venir des 
larmes de plaisir et d'attendrissement aux heureux parents qui les 
entendent. Ces jouissances, ces plaisirs leur suffisaient; et certes ils 
valaient bien les bruyantes réunions de l'opulence, où l'âme et le coeur 
perdent leur pure et limpide sérénité. Quelques domestiques fidèles 
complétaient enfin l'intérieur de cette famille, aux moeurs simples et 
vraiment patriarcales. 
Mais il est un autre personnage que nous nous permettrons d'introduire 
ici. Sans être tout-à-fait de la maison, Jean Renousse, tel était son nom, 
y était toujours le bien-venu. Jean Renousse, à l'époque où nous parlons, 
était âgé de, vingt-deux à vingt-cinq ans. Né d'un pauvre acadien et 
d'une femme indienne, de bonne heure orphelin, il devait à la charité 
des habitants de l'endroit de n'être pas mort de faim. Au lieu de 
s'occuper, comme tous les autres, de la pêche à la morue, il s'était 
construit une hutte dans les bois, à quelque distance de la mer et des 
habitations. Il répugnait trop au sang indien, qui coulait dans ses veines, 
de s'astreindre à un travail constant et journalier. Ce qu'il lui fallait 
c'était la vie aventureuse des bois, avec son indépendance. Aussi l'été 
maraudeur, pour ne pas nous servir d'une expression plus forte, il était 
le cauchemar des jardinières. En effet, rien de plus plaisant que de voir, 
lorsqu'il faisait une descente dans un jardin, la levée des manches à 
balais, pour en déloger l'intrus. Au voleur! criait l'une des voisines, au 
pillard! disait l'autre, au vaurien! Ajoutait une troisième. Bref, toutes 
ces commères réunies faisaient un tel vacarme, qu'il aurait pu donner 
une idée de ce que fait certaine femme quand à tort et à travers elle se 
fâche. Le drôle ne s'émouvait guère de ces cris, tant que sa provision de 
patates ou de carottes n'était pas faite, et que les armes ne devenaient 
pas trop menaçantes, par leur proximité; d'un bond, alors, il se mettait 
hors de leur portée, se tournait vers celles qui le poursuivaient, leur 
faisait mille grimaces, mille gambades, mille contorsions; et quand la 
place n'était plus tenable, il enjambait la clôture, et allait stoïquement 
s'asseoir à quelques pas de là. On l'avait vu quelquefois, quand de telles 
scènes étaient passées, entrer dans la chaumière de la plus furieuse, 
aller se placer bien tranquillement à sa table et partager, gaiement avec
elle, le repas. Mais l'hiver, chasseur et trappeur infatigable, il 
s'enfonçait dans la forêt avec les sauvages Abénakis, ne revenant 
souvent qu'au printemps avec une ample provision du fourrures, dont il 
trouvait toujours chez M. St.-Aubin un prompt et avantageux débit, 
Malgré ses défauts, Jean Renousse était loin d'être détesté, par les 
braves gens de la colonie; car, à plusieurs d'entr'eux, il avait rendu 
d'importants services. Souvent, lorsqu'une forte brise surprenait, au 
large, quelque berge attardée, qu'une femme éplorée, que des enfants en 
pleurs venaient demander des nouvelles d'un père, d'un mari ou d'un 
frère, à ceux qui arrivaient, que les pêcheurs hochaient tristement la tête, 
que les voisines essuyaient des larmes, qu'elles ne pouvaient dissimuler, 
et leur adressaient des consolations, on voyait Jean Renousse s'élancer 
dans une berge, et, malgré le vent et la tempête, s'exposer seul, pour 
aller porter secours au frêle bâtiment désemparé; souvent, grâce à son 
sublime dévouement et à son habileté à conduire une embarcation, plus 
d'un pêcheur avait à le remercier d'avoir revu sa pauvre chaumière! 
Parmi ceux, surtout, qui lui portaient un intérêt tout particulier, était 
Madame St.-Aubin. Elle avait reconnu, en plusieurs occasions, que 
sous cette écorce rude et inculte, dans ses yeux noirs et vifs, dans ses 
pommettes de joues saillantes, il y avait plus de coeur et d'intelligence 
qu'un oeil peu observateur n'en pouvait d'abord soupçonner. Jamais il 
ne se présentait à la demeure du bourgeois, comme on appelait M. 
St.-Aubin, sans en recevoir quelques secours; et, maintes fois, il leur 
avait prouvé, qu'un l'obligeant on n'avait pas rendu service à un ingrat. 
Son attachement pour l'enfant était excessif: c'était avec plaisir qu'il 
s'astreignait à un travail minutieux pour lui confectionner des jouets, et 
satisfaire ses moindres caprices enfantins. Bien des fois on l'avait 
confiée à ses soins, et c'était toujours avec une tendre sollicitude qu'il 
veillait sur elle. A la vérité il n'était pas facile de faire de la peine 
impunément à la petite Hermine, lorsqu'elle était sous sa garde, ainsi 
que sous celle du magnifique terre-neuve qu'on appelait Phédor. 
III 
C'est quelquefois au moment où l'on s'estime heureux que l'infortune 
vient nous frapper. Tandis que la famille St.-Aubin jouissait
paisiblement des fruits d'une vie vertueuse et exempte d'ambition; 
heureuse autant du bonheur des autres que du sien propre, de graves 
évènements se préparaient contre les malheureux Acadiens, dans 
l'ancien et le nouveau monde. Ce pays était le point de mire des 
flibustiers anglo-américains. 
En butte aux actes de rapines et de    
    
		
	
	
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