brise souffle plus violemment, sa voix prend alors des 
inflexions différentes; tantôt c'est un gémissement, une plainte; tantôt
un sourd grondement qui se prolonge d'échos en échos, produisant de 
discordantes clameurs, et qui vous feraient croire que, dans ces lieux 
solitaires, des sorcières viennent y célébrer leur sabbat. Vous eussiez 
trouvé surtout qu'il le méritait, ce nom, si, comme plusieurs l'assuraient, 
vous eussiez aperçu sur la cime d'un rocher surplombant l'abîme, 
lorsque le flot, battu par la tempête, venait lui livrer un assaut toujours 
impuissant, mais incessamment renouvelé, vous eussiez aperçu, dis-je, 
une femme à l'oeil hagard, aux cheveux épars, aux bras nus, aux 
vêtements en lambeaux, tendre les mains au fond du précipice, lui 
adresser une prière, une touchante supplication d'autrefois proférant des 
menaces, des imprécations, comme si elle eut voulu réclamer du 
gouffre une victime qui lui appartenait. Il eut été alors bien hardi, le 
navigateur qui, en longeant la côte, aurait vu cette apparition et entendu 
cette voix, s'il n'eut pas gagné le large au plus vite, en adressant une 
prière à son patron. D'autres gens, et c'était les plus croyables, disaient 
l'avoir vu se traîner sur les bords de la plage, et implorer le flot, d'une 
voix déchirante et désespérée, de lui rendre ce qu'elle avait perdu; puis 
ses paroles étaient étouffées, ajoutaient-ils, par d'immenses sanglots. 
Nul doute que si cet être fantastique eut réellement été une femme, la 
malheureuse devait être en proie à d'immenses douleurs. Pourtant un 
pauvre pêcheur, dont la cabane était assise au pied du cap, assurait 
l'avoir recueillie mourante, un matin, le lendemain d'une furieuse 
tempête: elle gisait sur le bord de la mer, auprès du cadavre d'un 
matelot; il l'avait, disait-il, transportée à sa demeure, et après des peines 
infinies, sa femme et lui étaient enfin parvenus à la rappeler à la vie; 
mais qu'ils n'avaient pas tardé de s'apercevoir que la malheureuse était 
folle.... 
II 
Parmi les nombreuses criques formées dans les rochers escarpés qui 
bordent les rivages de l'ancienne Acadie, aujourd'hui la Nouvelle 
Écosse, vivait, au fond de l'une d'elles, un jeune et honnête négociant 
acadien, dont le nom était St.-Aubin. Occupé depuis plusieurs années à 
l'exploitation de la pêche à la morue, grâce à son intelligence et à son 
indomptable énergie, son commerce prenait de jour en jour une plus 
grande extension. Quelques familles de pécheurs, dont il était le
bienfaiteur et le père nourricier, étaient venues se grouper autour de lui. 
D'une probité reconnue, affable et obligeant pour tous, il avait su 
s'attirer l'estime et le respect de chacun d'eux. 
Tout le monde connaît nos établissements de pêcheries, dans le bas du 
fleuve; rien de plus amusant que de voir ces berges aux voiles 
déployées, rentrer le soir, après le rude travail de la journée; ces 
femmes, ces enfants accourir pour aider le mari, le père ou le frère; le 
Poste est alors tout en émoi tout le monde se met gaiement à la besogne, 
on s'assiste, on se prête un mutuel secours: c'est un plaisir d'entendre les 
joyeux propos, les quolibet qui pleuvent sur les pêcheurs malheureux, 
les gai refrains; enfin, d'être témoin de la bonne harmonie qui règne 
parmi eux. C'est la bonne vieille Gaieté Gauloise qui prend ses ébats. 
Telle était la Grâce de Monsieur St.-Aubin. 
Sa maison, située sur une légère éminence, dominait la petite baie et les 
côtes avoisinantes. De jolis jardins, de charmants bocages et de coquets 
pavillons l'entouraient. Un peu plus loin, la vue pouvait s'étendre sur de 
beaux champs, dans un état de culture déjà avancée, et où paissaient de 
nombreux troupeaux: enfin, dans son ensemble et même dans ses 
détails, tout respirait l'aisance, la prospérité et le bonheur. 
L'intérieur de la famille ne présentait rien de particulier. M. St.-Aubin, 
marié, depuis quelques années, à une femme de sa nation, qu'il aimait 
tendrement, était père d'une charmante petite fille. Cette enfant était 
venu mettre le comble à la félicité de ce couple fortuné. 
Madame St.-Aubin était une de ces femmes d'élite, qui semblent se 
faire un devoir de rendre heureux tous ceux qui les entourent. Douée 
des plus riches qualités du coeur et de l'esprit, elle n'était que 
prévenance, amour et sollicitude pour son mari et sa chère petite 
Hermine, les confondant tous deux dans une même et touchante 
tendresse. Si parfois elle pouvait leur dérober un instant, dans la 
journée, c'était pour aller porter quelques secours, quelques 
consolations à ceux qui en avaient besoin, aussi la regardait-on comme 
une véritable Providence. Le soir amenait les intimes causeries, l'on se 
faisait part des impressions de la journée, on formait de nouveaux 
projets pour l'avenir. Bien souvent aussi, la maman racontait au papa
ému, les mille petites espiègleries de la petite, les conversations qu'elle 
avait eues avec sa poupée, voire même avec une table, une chaise, un 
meuble quelconque; enfin, ces mille    
    
		
	
	
	Continue reading on your phone by scaning this QR Code
 
	 	
	
	
	    Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the 
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.
	    
	    
