champ de bataille de 
Vannes, les pierres sacrées de Karnak, et les terres dont nous avions été, 
du temps de César, dépouillés par la conquête. Ces terres étaient au 
pouvoir d'une famille romaine; des colons, fils de Gaulois Bretons de 
notre ancienne tribu, autrefois réduits à l'esclavage, exploitent ces terres 
pour ceux-là dont les ancêtres les avaient dépossédés. La fille de l'un de 
ces colons aima mon père et en fut aimée. Elle se nommait Madelène; 
c'était une de ces viriles et fières Gauloises, dont notre aïeule Margarid, 
femme de Joël, offrait le modèle accompli. Elle suivit mon père lorsque 
sa légion quitta la Bretagne pour revenir ici sur les bords du Rhin, où je 
suis né, dans le camp fortifié de Mayence, ville militaire, occupée par 
nos troupes. Le chef de la légion où servait mon père était fils d'un 
laboureur; son courage lui avait valu ce commandement. Le lendemain 
de ma naissance, la femme de ce chef mourait en mettant au monde une 
fille... une fille... qui, peut-être, un jour, du fond de sa modeste maison, 
règnera sur le monde, comme elle règne aujourd'hui sur la Gaule; car,
aujourd'hui, à l'heure où j'écris ceci, VICTORIA, par la juste influence 
qu'elle exerce sur son fils VICTORIN et sur notre armée, est de fait 
impératrice de la Gaule. 
Victoria est ma soeur de lait; son père, devenu veuf, et appréciant les 
mâles vertus de ma mère, la supplia de nourrir cette enfant; aussi, elle 
et moi, avons-nous été élevés comme frère et soeur: à cette fraternelle 
affection, nous n'avons jamais failli... Victoria, dès ses premières 
années, était sérieuse et douce, quoiqu'elle aimât le bruit des clairons et 
la vue des armes. Elle devait être un jour belle, de cette auguste beauté, 
mélange de calme, de grâce et de force, particulière à certaines femmes 
de la Gaule. Tu verras des médailles frappées en son honneur dans sa 
première jeunesse; elle est représentée en Diane chasseresse, tenant un 
arc d'une main et de l'autre un flambeau. Sur une dernière médaille, 
frappée il y a deux ans, Victoria est figurée avec Victorin, son fils, sous 
les traits de Minerve accompagnée de Mars [2]. À l'âge de dix ans, elle 
fut envoyée par son père dans un collège de druidesses. Celles-ci, 
délivrées de la persécution romaine, par la renaissance de la liberté des 
Gaules, élevaient des enfants comme par le passé. 
Victoria resta chez ces femmes vénérées jusqu'à l'âge de quinze ans; 
elle puisa dans leurs patriotiques et sévères enseignements un ardent 
amour de la patrie et des connaissances sur toutes choses: elle sortit de 
ce collège instruite des secrets du temps d'autrefois, et possédant, dit-on, 
comme Velléda et d'autres druidesses, la prévision de l'avenir. À cette 
époque, la virile et fière beauté de Victoria était incomparable... 
Lorsqu'elle me revit, elle fut heureuse et me le témoigna; son affection 
pour moi, son frère de lait, loin de s'affaiblir pendant notre longue 
séparation, avait augmenté. 
Ici, mon enfant, je veux, je dois te faire un aveu, car tu ne liras ceci que 
lorsque tu auras l'âge d'homme: dans cet aveu, tu trouveras un bon 
exemple de courage et de renoncement. 
Au retour de Victoria, si belle de sa beauté de quinze ans, j'avais son 
âge; je devins, quoique à peine adolescent, follement épris d'elle; je 
cachai soigneusement cet amour, autant par timidité que par suite du 
respect que m'inspirait, malgré le fraternel attachement dont elle me
donnait chaque jour des preuves, cette sérieuse jeune fille, qui 
rapportait du collège des druidesses je ne sais quoi d'imposant, de 
pensif et de mystérieux. Je subis alors une cruelle épreuve. À quinze 
ans et demi, Victoria, ignorant mon amour (qu'elle doit toujours 
ignorer), donna sa main à un jeune chef militaire... Je faillis mourir 
d'une lente maladie, causée par un secret désespoir. Tant que dura pour 
moi le danger, Victoria ne quitta pas mon chevet; une tendre soeur ne 
m'eût pas comblé de soins plus dévoués, plus délicats... Elle devint 
mère... et quoique mère, elle accompagnait à la guerre son mari, qu'elle 
adorait. À force de raison, j'étais parvenu à vaincre, sinon mon amour, 
du moins ce qu'il y avait de violent, de douloureux, d'insensé dans cette 
passion; mais il me restait pour ma soeur de lait un dévouement sans 
bornes; elle me demanda de demeurer auprès d'elle et de son mari, 
comme l'un des cavaliers qui servent ordinairement d'escorte aux chefs 
gaulois, et écrivent ou portent leurs ordres militaires; j'acceptai. Ma 
soeur de lait avait dix-huit ans à peine, lorsque, dans une grande 
bataille contre les Franks, elle perdit le même jour son père et son 
mari... Restée veuve avec son enfant, pour qui elle prévoyait de 
glorieuses destinées, vaillamment réalisées aujourd'hui. Victoria ne 
quitta pas le camp. Les soldats, habitués à la voir au milieu d'eux, son 
fils    
    
		
	
	
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