pénétrer dans notre pays, prêchée par des apôtres 
voyageurs; la haine contre l'oppression étrangère redouble: attaqués en 
Gaule de toutes parts, harcelés de l'autre côté du Rhin par 
d'innombrables hordes de Franks, guerriers barbares, venus du fond des 
forêts du Nord, en attendant le moment de fondre à leur tour sur la 
Gaule, les Romains capitulent avec nous; nous recueillons enfin le fruit 
de tant de sacrifices héroïques! Le sang versé par nos pères depuis trois 
siècles a fécondé notre affranchissement, car elles étaient prophétiques 
ces paroles du chant du Chef des cent vallées: 
«Coule, coule, sang du captif! Tombe, tombe, rosée sanglante! Germe, 
grandis, moisson vengeresse!...» 
Oui, mon enfant, elles étaient prophétiques ces paroles; car c'est en 
chantant ce refrain que nos pères ont combattu et vaincu l'oppression 
étrangère. Enfin, Rome nous rend une partie de notre indépendance; 
nous formons des légions gauloises, commandées par nos officiers; nos 
provinces sont administrées par des gouverneurs de notre choix. Rome 
se réserve seulement le droit de nommer un principat des Gaules, dont 
elle sera suzeraine; on accepte en attendant mieux; ce mieux ne se fait
pas attendre. Épouvantés par nos continuelles révoltes, nos tyrans 
avaient peu à peu adouci les rigueurs de notre esclavage; la terreur 
devait obtenir d'eux ce qu'ils avaient impitoyablement refusé au bon 
droit, à la justice, à la voix suppliante de l'humanité: il ne fut plus 
permis au maître, comme du temps de notre aïeul Sylvest et de 
plusieurs de ses descendants, de disposer de la vie des esclaves, comme 
on dispose de la vie d'un animal. Plus tard, l'influence de la terreur 
augmentant, le maître ne put infliger des châtiments corporels à son 
esclave que par l'autorisation d'un magistrat. Enfin, mon enfant, cette 
horrible loi romaine, qui, du temps de notre aïeul Sylvest et des sept 
générations qui l'ont suivi, déclarait les esclaves hors de l'humanité, 
disant dans son féroce langage, que l'esclave n'existe pas, qu'il N'A 
PAS DE TÊTE (non caput habet, selon le langage romain), cette 
horrible loi, grâce à l'épouvante inspirée pas nos révoltes continuelles, 
s'était à ce point modifiée, que le code Justinien proclamait ceci: 
«La liberté est le droit naturel; c'est le droit des gens qui a créé la 
servitude; il a créé aussi l'affranchissement, qui est le retour à la liberté 
naturelle.» 
Ainsi donc, mon enfant, grâce à nos insurrections sans nombre, 
l'esclavage était remplacé par le colonat, sous le régime duquel ont 
vécu notre bisaïeul Justin et notre aïeul Aurel; c'est-à-dire qu'au lieu 
d'être forcés de cultiver, sous le fouet et au seul profit des Romains, les 
terres dont ceux-ci nous avaient dépouillés par la conquête, les colons 
avaient une petite part dans le produits de la terre qu'ils faisaient valoir. 
On ne pouvait plus les vendre, comme des animaux de labour, eux et 
leurs enfants; on ne pouvait plus les torturer ou les tuer; mais ils étaient 
obligés, de père en fils, de rester, eux et leur famille, attachés à la 
même propriété. Lorsqu'elle se vendait, ils passaient au nouveau 
possesseur sous les mêmes conditions de travail. Plus tard, la condition 
des colons s'améliora davantage encore: ils jouirent de leurs droits de 
citoyens. Lorsque les légions gauloises se formèrent, les soldats dont 
elles furent composées redevinrent complètement libres. Mon père Ralf, 
fils de colon, regagna ainsi sa liberté; et moi, fils de soldat, élevé dans 
les camps, je suis né libre, et je te lèguerai cette liberté, comme mon 
père me l'a léguée.
Lorsque tu liras ceci, mon enfant, après avoir eu connaissance des 
souffrances de nos aïeux, esclaves pendant sept générations, tu 
comprendras la sagesse des voeux de notre aïeul Joël, le brenn de la 
tribu de Karnak; tu verras combien justement il espérait que notre 
vieille race gauloise, en conservant pieusement le souvenir de sa 
bravoure et de son indépendance d'autrefois, trouverait dans son 
horreur de l'oppression romaine la force de la briser. 
Aujourd'hui que j'écris ces lignes, j'ai trente-huit ans; mes parents sont 
morts depuis longtemps: Ralf, mon père, premier soldat d'une de nos 
légions gauloises, où il avait été enrôlé à dix-huit ans dans le midi de la 
Gaule, est venu dans ce pays-ci, près des bords du Rhin, avec l'armée; il 
a été de toutes batailles contre les Franks, ces hordes féroces, qui, 
attirés par le beau ciel et la fertilité de notre Gaule, sont campés de 
l'autre côté du Rhin, toujours prêts à l'invasion. 
Il y a près de quarante ans, on craignit en Bretagne une descente des 
insulaires d'Angleterre: plusieurs légions, parmi lesquelles se trouvait 
celle de mon père, furent envoyées dans ce pays. Pendant plusieurs 
mois, il tint garnison dans la ville de Vannes, non loin de Karnak, le 
berceau de notre famille. Ralf, s'étant fait lire par un ami les récits de 
nos ancêtres, alla visiter avec un pieux respect le    
    
		
	
	
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