croyait ancien, semblait l'égal d'Homère. On le méprise depuis qu'on 
sait que c'est Mac-Pherson. 
Lorsque les hommes ont des admirations communes et qu'ils en 
donnent chacun la raison, la concorde se change en discorde. Dans un
même livre ils approuvent des choses contraires, qui ne peuvent s'y 
trouver ensemble. 
Ce serait un ouvrage bien intéressant que l'histoire des variations de la 
critique sur une des oeuvres dont l'humanité s'est le plus occupée, 
Hamlet, la Divine Comédie ou l'Iliade. L'Iliade nous charme 
aujourd'hui par un caractère barbare et primitif que nous y découvrons 
de bonne foi. Au XVIIe siècle, on louait Homère d'avoir observé les 
règles de l'épopée. 
«Soyez assuré, disait Boileau, que si Homère a employé le mot chien, 
c'est que ce mot est noble en grec.» Ces idées nous semblent ridicules. 
Les nôtres paraîtront peut-être aussi ridicules dans deux cents ans, car 
enfin on ne peut mettre au rang des vérités éternelles qu'Homère est 
barbare et que la barbarie est admirable. Il n'est pas en matière de 
littérature une seule opinion qu'on ne combatte aisément par l'opinion 
contraire. Qui saurait terminer les disputes des joueurs de flûte? 
Ce volume fut envoyé à l'imprimerie par mon éditeur, par mon ami très 
écouté et très vénéré, M. Calmann Lévy, que nous avons eu le malheur 
de perdre au mois de juin dernier. M. Ernest Renan et M. Ludovic 
Halévy ont dit de cet homme de bien, dans un langage parfait, tout ce 
qu'il fallait dire, et je me tairais après eux si mon devoir n'était de porter 
témoignage à mon tour. 
M. Calmann-Lévy succéda, en 1875, dans la direction de la maison de 
librairie à son frère Michel dont il était l'associé depuis l'année 1844. 
Cette maison demeura prospère et s'accrut encore entre ses mains. 
Aujourd'hui elle édite ou réimprime chaque année plus de deux 
millions de volumes ou de pièces de théâtre. 
M. Calmann Lévy fut en relations avec presque tous les écrivains 
célèbres de ce temps. Il vécut en commerce intime avec Guizot, Victor 
Hugo, Tocqueville, Sainte-Beuve, Alexandre Dumas, Mérimée, 
Ampère, Octave Feuillet, Sandeau, Murger, Nisard, le duc d'Aumale, le 
duc de Broglie, le comte d'Haussonville, Prévost-Paradol, Alexandre 
Dumas fils, Ludovic Halévy, et tant d'autres dont le dénombrement
remplirait plusieurs pages de ce livre. Je dois du moins indiquer les 
relations particulièrement cordiales qu'il entretenait avec M. Ernest 
Renan. C'était un legs de Michel Lévy. M. Renan a raconté dans ses 
Souvenirs, non sans charme, sa première rencontre avec l'éditeur auquel 
il est resté fidèle. Ces rapports excellents se continuèrent plus 
cordialement encore avec M. Calmann, devenu, par la mort de son frère 
aîné, le chef unique de la maison. 
M. Calmann Lévy était l'homme le plus sympathique. Il portait en 
toutes choses une extrême vivacité alliée à une bonté exquise. Je crois 
bien qu'il était aimé de tous ceux qui le connaissaient. Il avait l'esprit 
des grandes affaires, et son attention infatigable ne négligeait pas les 
plus petites choses. Nous aimions son bon rire, sa gaieté, sa franchise et 
jusqu'à sa brusquerie. Car dans sa brusquerie même il gardait toute la 
délicatesse de son coeur. Il était sûr, fidèle, obligeant. Il aimait à faire 
plaisir. Et, tout engagé qu'il était dans de vastes entreprises, il 
s'intéressait aux moindres affaires de ses amis. Un grand éditeur est une 
sorte de ministre des belles-lettres. Il doit avoir les qualités d'un homme 
d'État. M. Calmann Lévy possédait ces qualités. Il était toujours bien 
informé. Il connaissait admirablement, à son point de vue, toute la 
littérature contemporaine. Il savait sur le bout du doigt ses auteurs et 
leurs livres. Il faisait preuve d'un tact parfait dans ses relations avec les 
hommes de lettres. Avec une entière bonhomie il saisissait les nuances 
les plus fines. Il était admirable pour contenter les grands et pour 
encourager les petits. En vérité, c'était un bon ministre des lettres. 
Mais ce qui donnait un charme singulier à son mérite, c'était la 
modestie avec laquelle il le portait. Cette modestie était profonde et 
naturelle. On ne vit jamais au monde un homme plus simple, moins 
ébloui de sa fortune. Il avait gardé la candeur des enfants dans la 
société desquels il se plaisait aux heures de repos. 
Nulle affectation chez cet homme excellent, et s'il s'arrêtait avec 
complaisance sur quelque endroit honorable de sa vie, cet endroit était 
celui des débuts laborieux où il avait, par son zèle, secondé son frère 
Michel. Le seul orgueil qu'il montrât parfois était celui de ses obscurs 
commencements.
Ce n'est pas ici le lieu de le peindre dans sa famille, où il déploya les 
plus belles vertus domestiques. Il ne m'appartient pas de le montrer, 
comme un patriarche, à sa table couronnée d'enfants et de petits-enfants. 
Les regrets qu'il y laisse ne s'effaceront jamais. Mais il me sera 
peut-être permis de dire ce qu'il fut    
    
		
	
	
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