La foire aux vanités, Tome II | Page 7

William Makepeace Thackeray
la Poêle et le
Fourneau, brochures dont le titre dit assez la haute portée!

CHAPITRE II.
Où Jim passe par la porte et sa pipe par la fenêtre.
Miss Briggs s'était sentie singulièrement flattée des prévenances de M.
Crawley et du bon accueil de lady Jane. Aussi quand on apporta à Miss
Crawley les cartes de la famille Southdown, les paroles élogieuses se
pressèrent dans sa bouche sur le compte des visiteurs. La comtesse
avait laissé une carte pour elle! Il y avait là assurément de quoi rendre
bien fière cette pauvre délaissée.
«Une carte de lady Southdown pour vous, qu'est-ce que cela signifie,
miss Briggs? pour ma part, je n'y comprends rien,» observa miss
Crawley au nom de ses principes égalitaires.

Sa compagne lui fit humblement remarquer qu'il n'y avait aucun mal à
ce qu'une dame de qualité accordât quelque attention à une honnête et
pauvre fille.
Cette carte fut conservée précieusement dans sa boîte à ouvrage, parmi
ses autres trésors du même genre.
Elle raconta alors à miss Crawley sa rencontre de la veille avec M. Pitt,
en compagnie de sa cousine et future épouse. Elle s'étendit avec une
complaisance toute particulière sur l'amabilité et la modestie de cette
charmante demoiselle, sur la simplicité excessive de sa toilette, dont
elle passa minutieusement en revue tous les articles, depuis le bonnet
jusqu'aux brodequins.
Miss Crawley ne dit point à Briggs que son bavardage lui brisait la tête;
elle la laissa parler, au contraire, tant qu'elle voulut. Dès qu'elle sentait
ses forces revenir, elle se mettait à désirer les visites, et M. Creamer,
son médecin, ne voulant point lui permettre de retourner à Londres
pour s'y plonger de nouveau dans le tourbillon des plaisirs, elle était
enchantée de trouver à Brighton des éléments de société. Elle envoya
donc ses cartes le lendemain, en faisant dire à M. Pitt qu'elle serait bien
aise de le voir. Il se rendit à cette invitation et amena même avec lui
lady Southdown et sa fille. La comtesse douairière évita de parler de
l'état déplorable dans lequel se trouvait l'âme de miss Crawley, elle
causa toujours avec une discrétion exquise de la pluie et du beau temps,
de la guerre, de la chute de Bonaparte; vanta surtout ses docteurs et ses
drogueurs, et porta très-haut les mérites singuliers de Podger, son
apothicaire de prédilection.
Dès cette première visite, Pitt Crawley frappa un coup de maître en
démontrant, clair comme le jour, que si un injuste oubli n'avait pas à
ses débuts arrêté sa carrière diplomatique, il n'y avait pas de raison pour
qu'il ne pût prétendre aux postes les plus élevés. La comtesse douairière
de Southdown ayant pris à parti celui qu'elle appelait l'aventurier Corse,
ce monstre souillé de tous les crimes imaginables, ce misérable tyran
indigne de voir la lumière du jour, etc., etc., etc. Pitt Crawley se mit à
son tour à défendre l'homme de la destinée. Il dépeignit le premier
consul tel qu'il l'avait vu à la paix d'Amiens, quand, lui Pitt Crawley,

avait eu l'honneur de se lier avec M. Fox, ce grand homme d'État,
devant le génie duquel disparaît toute dissidence d'opinion pour ne plus
laisser place qu'à l'admiration la plus fervente, ce politique achevé qui
avait toujours professé la plus haute considération pour l'empereur
Napoléon; son indignation s'exhala en termes les plus violents contre la
conduite déloyale des alliés à l'égard de ce monarque détrôné. L'exil le
plus honteux et le plus cruel n'avait-il pas été la récompense de sa foi
en la parole donnée? Et pourquoi? pour substituer à son autorité la
tyrannique domination d'un papiste effréné.
Cette sainte horreur de Rome et du pape assurait à M. Pitt une haute
position dans l'opinion de lady Southdown, pendant que son admiration
pour Fox et Napoléon le grandissait d'autre part dans l'esprit de sa tante.
L'amitié de cette dernière pour cet illustre défunt a déjà été l'objet d'une
digression dans l'un des premiers chapitres de cette histoire. Whig de
coeur et d'âme, miss Crawley, pendant toute la durée de la guerre, avait
fait cause commune avec les membres de l'opposition, et bien que la
chute de l'empereur n'ait jamais fait grande impression sur les nerfs de
la vieille dame, et que les malheurs de l'exilé n'aient point troublé le
sommeil de ses nuits, Pitt cependant la prenait par son faible, en louant
à la fois ses deux idoles. Cette courte mais énergique protestation avait
suffi pour le mettre fort avant dans les bonnes grâces de sa tante.
«Et vous, ma chère, que pensez-vous?» dit miss Crawley en se tournant
vers la jeune demoiselle, dont l'air simple et modeste réveillait déjà
toutes ses sympathies.
C'était, du reste, son habitude de s'enflammer toujours ainsi à première
vue; mais il faut rendre cette justice à son enthousiasme, il était aussi
prompt à s'en
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