mes thèses 
favorites. 
Revenu dans nos ports coloniaux, j'éprouvai une véritable déconvenue 
à ne point trouver de lettre de Paul. Était-ce donc que je l'eusse blessé 
par quelques railleries inoffensives? J'en aurais été marri, et je me 
promis bien, une fois débarqué, de m'expliquer avec lui et de lui 
arracher, s'il le fallait, à coups de meâ culpâ un amical pardon. 
Je pris juste le temps nécessaire pour régler à Paris quelques affaires 
indispensables. Puis, sans prévenir d'ailleurs celui que je comptais
surprendre en plein bonheur, je m'installai dans un wagon, filant sur 
Vierzon. 
Je m'arrêtai, selon les indications que m'avait données Paul dans une de 
ses premières lettres, à la station de Salbris, gros bourg dont le nom est 
lié à l'un des épisodes les plus honorables de la guerre de 1870. 
Je me hâtai d'entrer à l'auberge pour y commander un frugal repas. On 
touchait à la fin du mois d'octobre, et les journées, devenues courtes, 
me conseillaient d'arriver le plus tôt possible au château de 
Pierre-Sèche, où demeuraient mes amis. J'avais encore cinq heures 
devant moi. Je m'enquis d'une voiture, qui me fut procurée avec la 
meilleure volonté du monde. 
--Où va Monsieur? demanda l'aubergiste. 
Je lui nommai le château que j'ai dit. L'homme prit une figure contrite. 
--C'est à plus de 4 lieues, en plein marais, sur la rive gauche de la 
Sauldre, me dit-il. 
J'avais remarqué le changement de sa physionomie: je ne m'imaginai 
pas que ce fussent la distance ou la mauvaise qualité des terrains qui 
l'eussent provoqué. 
En une vague inquiétude, je repris: 
--Sans doute, vous connaissez les propriétaires? 
Cette fois son embarras fut indéniable. 
--Monsieur veut parler de M. Paul X.? 
--En effet, je suis de ses amis. J'arrive d'un long voyage, et il me tarde 
de lui serrer la main. 
--Monsieur arrive de voyage?... alors il ne sait peut-être pas... 
--Quoi donc?
--Que M. Paul ne reçoit jamais personne et que nul ne se peut vanter de 
l'avoir vu depuis plus de six mois... Ah! c'est une grande pitié, 
Monsieur, une vraie pitié! 
--Que voulez-vous dire?... Il est arrivé quelque malheur?... 
--Quand je disais que Monsieur ne savait pas... la pauvre petite dame 
est morte... 
--Morte! m'écriai-je avec une angoisse profonde. Quoi! vous voulez 
parler de la femme de Paul, de cette chère et exquise créature! 
--Monsieur a bien raison, ç'a été une grande perte pour le pays. Vous 
me croirez si vous voulez, Monsieur, mais tout le monde l'aimait et la 
plaignait aussi, car elle a été longue à dépérir. Elle était si faiblotte! 
Voyez-vous, le château est mal placé, et on y a des fièvres. Je ne 
comprends pas que M. Paul ait amené là une femme délicate comme 
ça! 
Ainsi c'était bien elle qui était morte! Jamais je n'avais ressenti heurt 
plus douloureux. Sa brutalité m'avait littéralement suffoqué, et des 
larmes tombèrent de mes yeux. 
--Je vois que Monsieur est un ami, reprit l'hôte. Je n'aurais peut-être pas 
dû lui dire la chose tout nettement, mais Monsieur l'aurait bien vite 
apprise. Est-ce qu'il faut toujours commander la voiture? 
--Certes, m'écriai-je, et pourquoi non? Est-ce quand nos amis sont dans 
la douleur qu'il les faut abandonner? Ah! plût à Dieu que je fusse 
revenu plus tôt, j'aurais peut-être empêché cet horrible malheur! 
--C'est douteux, Monsieur, car la petite dame était bien malade. Je dois 
dire aussi que M. Paul l'a soignée! Ah! tenez, c'était beau et douloureux 
en même temps... jamais il ne la quittait, et, quand ils se promenaient, 
lui la soutenant, vrai, on aurait dit qu'il la buvait des yeux! Il l'aimait 
bien, allez! Aussi on comprend son désespoir. Depuis le jour où on a 
porté la pauvre dame en terre, avec tout le pays derrière--et des vraies 
pleurs comme les vôtres de tout à l'heure--M. Paul s'est enfermé chez
lui, et plus jamais--vous entendez--plus jamais il n'est sorti de 
Pierre-Sèche... 
Les détails étaient navrants. Paul vivait seul dans ce château qui, 
disait-on, serait son tombeau--comme il avait été celui de sa chère 
femme. Il n'avait avec lui qu'un vieux domestique qui, lui aussi--c'était 
l'expression de l'aubergiste--filait un mauvais coton. 
Et puis... et puis il y avait autre chose. 
J'eus quelque peine à obtenir de mon interlocuteur qu'il s'expliquât plus 
clairement: de fait, cela lui était assez difficile. Naturellement, partout 
où la mort passe, elle laisse un sillage d'effroi. Voilà que des bruits 
étranges s'étaient répandus dans le pays: on parlait de lumières 
fantastiques apparaissant la nuit aux fenêtres du château. Une femme 
qui avait été engagée pour des services d'intérieur s'était refusée à 
revenir, déclarant qu'elle ne rentrerait pas dans une maison que 
hantaient des revenants. 
Oh! l'aubergiste ne croyait pas un mot de ces folies. Mais peut-on 
empêcher le monde de parler? Aussi n'était-il pas bizarre qu'un homme 
de l'âge de Paul se cloitrât ainsi? Il s'était absolument    
    
		
	
	
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