refusé à recevoir 
personne, même des gens bien intentionnés qui auraient voulu lui 
apporter des consolations. La porte leur était restée impitoyablement 
fermée. Le vieux Jean--c'était le nom du domestique que je connaissais 
bien--bousculait les gens d'un air égaré. C'était à croire que lui-même 
devenait fou! 
--Enfin, Monsieur, continuait le brave homme, si vous voulez entrer 
dans ce château de malheur, je crois que vous en serez pour votre peine. 
--J'essaierai quand même, repartis-je. 
Au fond, je ne doutais pas que je ne dusse être reçu. Connaissant 
l'exquise délicatesse de Paul, je ne m'étonnais pas outre mesure d'une 
claustration qu'expliquait suffisamment un désespoir aussi justifié. Je le 
verrais, je lui parlerais, je parviendrais à galvaniser cette âme engourdie, 
à revivifier ce coeur mort. C'était ma tâche d'ami, et je ne m'y
soustrairais pas. 
 
VI 
Vous souvenez-vous de la phrase glaciale d'Edgar Poe: 
--Comme les ombres du soir approchaient, je me trouvai en face de la 
morne maison Usher. Je ne sais comment cela se fit, mais, au premier 
coup d'oeil que je jetai sur elle, une intolérable tristesse pénétra mon 
âme... 
Cette réminiscence--la maison Usher--m'obséda pendant toute la route, 
alors que sous la lourdeur grise de cette soirée d'automne je suivais, 
blotti dans la voiture que conduisait un silencieux Solognot, jauni par 
d'anciennes fièvres, la route bordée de marécages qui, sur la rive 
gauche de la Sauldre, conduisait à la Pierre Sèche. 
Mon conducteur n'était pas de ceux qu'on interroge et dont on quête les 
racontars. C'était un de ces non pensants qui répugnent à toute 
expansion intellectuelle. Il allait droit devant lui, sans regarder de côté 
ni d'autre, ruminant quelque chose de sa mâchoire prognathe et lourde. 
Cette société nulle ne me déplaisait pas, laissant intacte ma rêverie qui 
peu à peu se condensait en somnolence. Pourtant je n'avais pas fermé 
les yeux: entre mes paupières mi-closes passait la lande mate et grise 
où parfois éclatait le reflet d'acier d'une mare, cinglée d'une lame. Sur 
la route dure, les roues allaient sans bruit, tandis que le cheval s'étirait, 
silhouette macabre. 
Je ne pourrais dire que la route me semblât longue, car je n'avais plus 
aucune notion du temps, non plus que la claire compréhension des 
choses. J'étais pris tout entier dans l'étau d'une angoisse inanalysée, 
mais si serrante que j'en étais étouffé. Et dans la plaine vide et plate, 
entre les étangs, plaques noirâtres sur une peau d'un bistre sale, j'allais 
toujours, sans savoir où, instinctivement inquiet. 
Ce fut alors que le ressouvenir de la maison Usher plus despotiquement
s'imposa, quand en face d'une flaque d'eau, plus large de quelques 
mètres, à l'entrée d'un pont de bois que fermait une grille, l'homme se 
retourna et, parlant pour la première fois, dit: 
--La Pierre Sèche. 
Je fus éveillé en sursaut. Pour un peu, j'aurais demandé ce que pouvait 
m'importer la Pierre Sèche. 
Mais une impression me saisit, bien différente de celle que j'attendais. 
De l'autre côté de l'étang, dans lequel dormaient de longues herbes, 
oscillant de leurs grappes ainsi que des épis murs, se dressait au 
sommet d'un monticule de quelques pieds, et qui semblait de rocailles 
et de mosaïques, une sorte de castel dont une aile se projetait en face de 
moi, hardiment découpée sur le ciel que rougeoyait le soleil couchant. 
A la vision de la morte maison Usher, qui me devait apparaître, en mes 
prévisions attristées, comme la face d'un hypocondriaque se substituait 
un profil élancé, avec je ne sais quel raffinement d'élégance. Des vignes 
folles, à aigrettes rouges, couraient le long des murs, ayant pour 
canevas les nervures du lierre accroché au silex, broderie de pourpre 
sur velours vert. 
Cette forme s'enveloppait d'une buée claire, irisée, qui estompait les 
contours et atténuait les angles. 
En ma disposition d'esprit, ce tableautin me ravit, à la fois inattendu et 
charmant. 
Cependant l'homme restait, attendant que je me décidasse à descendre. 
Je compris que, son office rempli, il s'étonnait que je ne lui rendisse pas 
sa liberté: il n'avait pas à compter avec mes fantaisies d'imagination. Je 
sautai sur le sol et lui tendis une pièce de monnaie. 
--Alors, lui dis-je, ceci est bien le château de Pierre Sèche? 
--Puisque je vous l'ai dit...
--Merci donc. Vous pouvez retourner à Salbris. 
Il me regardait de ses yeux sans couleur: je crus qu'il n'était pas 
satisfait: 
--N'est-ce pas le prix convenu? demandai-je. 
--Si... mais voici la grille. Il y a une sonnette. 
Bon! il estimait que son devoir était de ne m'abandonner que lorsque je 
serais entré. Mais justement, dans mes vagues pressentiments 
d'incidents singuliers, il ne me plaisait pas de le rendre témoin, 
peut-être, d'une déconvenue. 
--Allez, lui dis-je. Ne vous occupez plus de moi. 
Alors il se décida, le cheval tourna, s'allongea, partit. 
Je restai seul en face de la grille. Elle barrait toute la largeur du petit 
pont dont    
    
		
	
	
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