plus tard. Et c'est ainsi que, dès la fin de 1789, nous voyons 
se dessiner, vaguement encore, mais déjà perceptibles pour 
l'observateur attentif, trois groupes distincts dans la population de 
Strasbourg. Jouant pour le moment le rôle le plus en évidence, nous 
trouvons d'abord le gros de la bourgeoisie protestante et catholique, 
sincèrement libérale, aux aspirations humanitaires et réformatrices, 
mais non encore entièrement décidée à s'absorber entièrement, à se 
perdre joyeusement dans l'unité constitutionnelle de la France de 
demain. A côté de lui, plus à gauche, le groupe de plus en plus 
nombreux des Français de l'intérieur, des enthousiastes, des impatients, 
des politiques ambitieux au flair subtil, attirant à lui les couches
populaires, comprimées jusqu'ici par le régime oligarchique, et visant 
avant tout à ce but désiré. Vers la droite enfin, un troisième groupe, 
presque exclusivement catholique, se méfiant dès lors de toute 
proposition novatrice et chez lequel les atteintes portées à la propriété 
ecclésiastique allumaient déjà bien des colères, que les questions 
religieuses proprement dites allaient singulièrement aviver l'année 
suivante. 
 
II. 
Il a pu sembler à quelques-uns de nos lecteurs que cet exposé général 
de la situation des esprits à Strasbourg, nous entraînait bien loin de la 
Cathédrale et de notre sujet plus restreint. Mais ils comprendront 
bientôt, j'espère, que cet aperçu, résumé dans les limites du possible, 
était nécessaire pour les orienter sur ce qui va suivre. Si l'on ne 
parvenait à se rendre nettement compte des dispositions morales de la 
population strasbourgeoise, dès le début de la crise, tout le cours 
subséquent de la Révolution dans nos murs risquerait fort de rester une 
énigme ou de donner naissance à d'étranges malentendus. 
Le prince Louis de Rohan, l'un des plus menacés, il est vrai, puisqu'il 
avait sept cent mille livres de rente à perdre, fut aussi l'un des premiers 
à se rendre compte de la gravité du danger. On se rappelle qu'il avait 
refusé d'abord de siéger à la Constituante. Quand il vit que l'Assemblée 
Nationale entamait sérieusement la discussion sur les moyens de 
combler le déficit, il profita de la mort de l'abbé Louis, l'un des députés 
du clergé alsacien, pour se faire envoyer à sa place à Versailles. Il y 
parut dans la séance du 12 septembre, s'excusant sur sa mauvaise santé 
d'avoir tant tardé à paraître à son poste et faisant l'éloge du patriotisme 
de ses collègues; il prêta même avec une bonne grâce parfaite le 
serment civique, exigé des députés. Mais il ne lui servit à rien d'avoir 
"énoncé son hommage et son respect", comme Schwendt l'écrivait le 
lendemain au Magistrat de Strasbourg, et ce n'est pas de pareilles 
démonstrations qui pouvaient détourner la majorité de l'Assemblée du 
vote final du 2 novembre, qui mettait les biens du clergé à la 
disposition de la Nation. A partir de ce moment le cardinal se retourne
franchement vers la droite et devient bientôt l'un des plus fougueux, 
comme l'un des plus directement intéressés parmi les protestataires, qui 
font entendre à Versailles leurs doléances contre cette mesure radicale. 
Pour un temps les récriminations bruyantes du prince-évêque s'y 
mêlèrent aux plaintes plus discrètes de la ville de Strasbourg. Car, en 
novembre encore, nous voyons M. Schwendt, l'un de nos députés, se 
débattre contre les décisions du Comité féodal de l'Assemblée et tâcher 
de persuader à ses collègues qu'il fallait laisser au moins certains de 
leurs droits exceptionnels à ses commettants. Il s'appuyait, nous dit-il, 
dans cette discussion, bientôt oiseuse, "sur les motifs énoncés 
également par M. le cardinal de Rohan, fortifiés encore par notre 
capitulation particulière." 
Mais il était trop tard pour qu'on pût s'arrêter à des considérations de ce 
genre. Surtout après les tristes journées du 5 et 6 octobre, après la 
translation forcée de la famille royale dans la capitale, où les députés de 
la nation s'installèrent à sa suite, il n'y avait rien à espérer désormais 
pour le maintien des droits historiques qui choquaient l'esprit 
géométrique de la Constituante. On y était résolu à "ne pas se relâcher 
sur la rigueur des principes", comme l'écrivait M. Schwendt, et son 
collègue, M. de Türckheim, l'avait si bien compris, qu'il donna sa 
démission, sous prétexte de maladie, mais en réalité pour ne pas 
assister, le coeur brisé, à la chute définitive du vieux régime 
strasbourgeois qui l'avait vu naître et dont il fut l'un des derniers et plus 
honorables représentants. Il avait raison; au point où en était la 
Révolution française, c'était une illusion de croire que quelques articles 
du traité de Munster ou de la capitulation de 1681 empêcheraient les 
conséquences logiques des postulats de la raison pure, auxquels 
l'Assemblée constituante dut ses plus beaux élans civiques, mais aussi 
ses fautes politiques les plus déplorables. 
Bientôt cependant la différence d'attitude s'accentua; les autorités 
municipales, contenues, dirigées, calmées par l'habile commissaire du 
roi, Frédéric de Dietrich, que ses    
    
		
	
	
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