La San-Felice, Tome III | Page 7

Alexandre Dumas, père
d'une fois, continua le blessé d'une voix plus altérée, il me
raconta la chose depuis, et cet esprit fort et puissant ne doutait point
qu'à mes cris l'ombre bienheureuse n'eût obtenu de Dieu la permission
de redescendre du ciel pour apaiser la faim et les cris de son enfant.
--Et depuis, demanda Luisa pâle et frissonnante elle-même, vous dites
que vous l'avez vue?
--Trois fois, répondit le jeune homme. La première, c'était pendant la
nuit qui précéda le jour où je la vengeai: je la vis s'avancer vers mon lit
avec cette tache rouge au milieu du front; elle s'inclina sur moi pour
m'embrasser, je sentis le contact de ses lèvres froides, et quelque chose
qui ressemblait à une larme tomba sur mon front au moment où elle se
relevait; je voulus alors la saisir entre mes bras et la retenir, mais elle
disparut. Je m'élançai hors du lit, je courus dans la chambre de mon
père; une bougie brûlait, je m'approchai d'une glace; ce que j'avais pris
pour une larme, c'était une goutte de sang qui était tombée de sa
blessure; mon père, réveillé par moi, écouta mon récit tranquillement et
me dit en souriant:
»--Demain, la blessure sera fermée.
»Le lendemain, j'avais tué le meurtrier de ma mère.
Luisa, épouvantée, cacha sa tête dans l'oreiller du blessé.
--Deux fois depuis cette nuit, je l'ai revue, continua Salvato d'une voix
presque éteinte; mais, comme elle était vengée, la tache de sang avait
disparu de son front.
Soit fatigue, soit émotion, en achevant ce récit, bien long pour ses
forces, Salvato retomba pâle et épuisé sur son chevet.
Luisa poussa un cri.
Le blessé, la bouche haletante et les yeux fermés, était retombé sur son

lit.
Luisa s'élança vers la porte, et, en l'ouvrant, faillit renverser Nina, qui
écoutait, l'oreille collée à cette porte.
Mais elle ne fit qu'une légère attention à cet incident.
--L'éther! demanda-t-elle, l'éther! Il se trouve mal.
--L'éther est dans la chambre de madame, répondit Nina.
Luisa ne fit qu'un bond jusqu'à sa chambre, mais chercha vainement;
lorsqu'elle revint près du blessé, Giovannina soutenait la tête de Salvato
sur son bras, et, en la pressant contre sa poitrine, lui faisait respirer le
flacon.
--Ne m'en veuillez pas, madame, lui dit Nina, le flacon était sur la
cheminée derrière la pendule; en vous voyant si troublée, j'ai
moi-même perdu la tête; mais tout est pour le mieux; voici M. Salvato
qui revient à lui.
En effet, le jeune homme rouvrit les yeux, et ses yeux, en se rouvrant,
cherchaient Luisa.
Giovannina, qui vit la direction de son regard, reposa doucement la tête
du blessé sur l'oreiller et gagna l'embrasure d'une fenêtre, où elle essuya
une larme, tandis que Luisa revenait prendre sa place au chevet du
malade, et que Michele, passant sa tête par la porte restée entr'ouverte,
demandait:
--As-tu besoin de moi, petite soeur?

XXXVIII
ANDRÉ BACKER
L'âme tout entière de Luisa était passée dans ses yeux, et ses yeux

étaient fixés sur ceux de Salvato, qui, reconnaissant la jeune femme
dans celle qui lui donnait des soins, revenait à lui avec un sourire.
Il rouvrit complétement les yeux et murmura:
--Oh! mourir ainsi!
--Oh! non, non! pas mourir! s'écria Luisa.
--Je sais bien qu'il vaudrait mieux vivre ainsi, continua Salvato; mais...
Il poussa un soupir dont le souffle fit frémir les cheveux de la jeune
femme et passa sur son visage comme l'haleine brûlante du sirocco.
Elle secoua la tête, sans doute pour écarter le fluide magnétique dont
l'avait enveloppée ce soupir de flamme, reposa la tête du blessé sur
l'oreiller, s'assit sur le fauteuil auquel s'appuyait le chevet du lit; puis,
se tournant vers Michele et répondant un peu tardivement peut-être à sa
question:
--Non, je n'ai plus besoin de toi, dit-elle, heureusement; mais entre
toujours, et vois comme notre malade va bien.
Michele s'approcha sur la pointe du pied, comme s'il eût eu peur
d'éveiller un homme endormi.
--Le fait est qu'il a meilleur mine que lorsque nous l'avons quitté, la
vieille Nanno et moi.
--Mon ami, dit la San-Felice au blessé, c'est le jeune homme qui, dans
la nuit où vous avez failli être assassiné, nous a aidés à vous porter
secours.
--Oh! je le reconnais, dit Salvato en souriant; c'est lui qui pilait les
herbes que cette femme que je n'ai pas revue appliquait sur ma
blessure.
--Il est revenu depuis pour vous voir, car, comme nous tous, il prend un
grand intérêt à vous; seulement, on ne l'a point laissé entrer.

--Oh! mais je ne me suis point fâché de cela, dit Michele; je ne suis pas
susceptible, moi.
Salvato sourit et lui tendit la main.
Michele prit la main que Salvato lui tendait et la regarda en la retenant
dans les siennes.
--Vois donc, petite soeur, dit-il, on dirait une main
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