d'une fois, continua le blessé d'une voix plus altérée, il me 
raconta la chose depuis, et cet esprit fort et puissant ne doutait point 
qu'à mes cris l'ombre bienheureuse n'eût obtenu de Dieu la permission 
de redescendre du ciel pour apaiser la faim et les cris de son enfant. 
--Et depuis, demanda Luisa pâle et frissonnante elle-même, vous dites 
que vous l'avez vue? 
--Trois fois, répondit le jeune homme. La première, c'était pendant la 
nuit qui précéda le jour où je la vengeai: je la vis s'avancer vers mon lit 
avec cette tache rouge au milieu du front; elle s'inclina sur moi pour 
m'embrasser, je sentis le contact de ses lèvres froides, et quelque chose 
qui ressemblait à une larme tomba sur mon front au moment où elle se 
relevait; je voulus alors la saisir entre mes bras et la retenir, mais elle 
disparut. Je m'élançai hors du lit, je courus dans la chambre de mon 
père; une bougie brûlait, je m'approchai d'une glace; ce que j'avais pris 
pour une larme, c'était une goutte de sang qui était tombée de sa 
blessure; mon père, réveillé par moi, écouta mon récit tranquillement et 
me dit en souriant: 
»--Demain, la blessure sera fermée. 
»Le lendemain, j'avais tué le meurtrier de ma mère. 
Luisa, épouvantée, cacha sa tête dans l'oreiller du blessé. 
--Deux fois depuis cette nuit, je l'ai revue, continua Salvato d'une voix 
presque éteinte; mais, comme elle était vengée, la tache de sang avait 
disparu de son front. 
Soit fatigue, soit émotion, en achevant ce récit, bien long pour ses 
forces, Salvato retomba pâle et épuisé sur son chevet. 
Luisa poussa un cri. 
Le blessé, la bouche haletante et les yeux fermés, était retombé sur son
lit. 
Luisa s'élança vers la porte, et, en l'ouvrant, faillit renverser Nina, qui 
écoutait, l'oreille collée à cette porte. 
Mais elle ne fit qu'une légère attention à cet incident. 
--L'éther! demanda-t-elle, l'éther! Il se trouve mal. 
--L'éther est dans la chambre de madame, répondit Nina. 
Luisa ne fit qu'un bond jusqu'à sa chambre, mais chercha vainement; 
lorsqu'elle revint près du blessé, Giovannina soutenait la tête de Salvato 
sur son bras, et, en la pressant contre sa poitrine, lui faisait respirer le 
flacon. 
--Ne m'en veuillez pas, madame, lui dit Nina, le flacon était sur la 
cheminée derrière la pendule; en vous voyant si troublée, j'ai 
moi-même perdu la tête; mais tout est pour le mieux; voici M. Salvato 
qui revient à lui. 
En effet, le jeune homme rouvrit les yeux, et ses yeux, en se rouvrant, 
cherchaient Luisa. 
Giovannina, qui vit la direction de son regard, reposa doucement la tête 
du blessé sur l'oreiller et gagna l'embrasure d'une fenêtre, où elle essuya 
une larme, tandis que Luisa revenait prendre sa place au chevet du 
malade, et que Michele, passant sa tête par la porte restée entr'ouverte, 
demandait: 
--As-tu besoin de moi, petite soeur? 
 
XXXVIII 
ANDRÉ BACKER 
L'âme tout entière de Luisa était passée dans ses yeux, et ses yeux
étaient fixés sur ceux de Salvato, qui, reconnaissant la jeune femme 
dans celle qui lui donnait des soins, revenait à lui avec un sourire. 
Il rouvrit complétement les yeux et murmura: 
--Oh! mourir ainsi! 
--Oh! non, non! pas mourir! s'écria Luisa. 
--Je sais bien qu'il vaudrait mieux vivre ainsi, continua Salvato; mais... 
Il poussa un soupir dont le souffle fit frémir les cheveux de la jeune 
femme et passa sur son visage comme l'haleine brûlante du sirocco. 
Elle secoua la tête, sans doute pour écarter le fluide magnétique dont 
l'avait enveloppée ce soupir de flamme, reposa la tête du blessé sur 
l'oreiller, s'assit sur le fauteuil auquel s'appuyait le chevet du lit; puis, 
se tournant vers Michele et répondant un peu tardivement peut-être à sa 
question: 
--Non, je n'ai plus besoin de toi, dit-elle, heureusement; mais entre 
toujours, et vois comme notre malade va bien. 
Michele s'approcha sur la pointe du pied, comme s'il eût eu peur 
d'éveiller un homme endormi. 
--Le fait est qu'il a meilleur mine que lorsque nous l'avons quitté, la 
vieille Nanno et moi. 
--Mon ami, dit la San-Felice au blessé, c'est le jeune homme qui, dans 
la nuit où vous avez failli être assassiné, nous a aidés à vous porter 
secours. 
--Oh! je le reconnais, dit Salvato en souriant; c'est lui qui pilait les 
herbes que cette femme que je n'ai pas revue appliquait sur ma 
blessure. 
--Il est revenu depuis pour vous voir, car, comme nous tous, il prend un 
grand intérêt à vous; seulement, on ne l'a point laissé entrer.
--Oh! mais je ne me suis point fâché de cela, dit Michele; je ne suis pas 
susceptible, moi. 
Salvato sourit et lui tendit la main. 
Michele prit la main que Salvato lui tendait et la regarda en la retenant 
dans les siennes. 
--Vois donc, petite soeur, dit-il, on dirait une main    
    
		
	
	
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