mon père rassura la bonne
femme, laissa une ordonnance au mari et un louis pour être sûr que
l'ordonnance serait suivie, et s'en allait revenir à la maison en y
ramenant la nourrice, lorsqu'un jeune homme éploré vint tout à coup lui
dire que son père, un garde de la forêt, avait été grièvement blessé la
nuit précédente par un braconnier. Mon père ne savait point ce que
c'était que de repousser un semblable appel; il remit la clef de la maison
à la nourrice et lui recommanda de revenir sans perdre un instant,
d'autant plus que le temps devenait orageux.
»La nourrice partit. Il était sept heures du soir; elle promit d'être avant
huit heures à la maison, et mon père s'en alla de son côté, après lui
avoir vu prendre le chemin qui devait la ramener près de moi. Pendant
une demi-heure, tout alla bien; mais alors le temps s'obscurcit tout à
coup, le tonnerre gronda et un orage terrible éclata, mêlé d'éclairs et de
pluie. Par malheur, au lieu de suivre le chemin frayé, la bonne femme
prit, afin d'arriver plus vite à la maison, un sentier qui raccourcissait la
distance, mais que la nuit rendait plus difficile; un loup qui, effrayé
lui-même par l'orage, croisa son chemin, lui fit peur; elle se jeta de côté,
s'enfuit, s'engagea dans un taillis, s'y égara, et, de plus en plus
épouvantée par l'orage, erra au hasard, appelant, pleurant, criant, mais
n'ayant pour réponse à ses cris que ceux des chouettes et des hiboux.
»Folle, éperdue, elle erra ainsi pendant trois heures, se heurtant aux
arbres, buttant contre les souches à fleur de terre, roulant dans les
ravins perdus dans l'obscurité, et entendant successivement, au milieu
des grondements du tonnerre, sonner neuf heures, dix heures, onze
heures; enfin, comme le premier coup de minuit tintait, un éclair lui fit
voir à cent pas d'elle notre maison tant cherchée, et, quand l'éclair fut
éteint, quand la forêt fut retombée dans les ténèbres, elle continua d'être
guidée par une lumière qui venait de la chambre où était mon berceau:
elle crut que mon père était revenu avant elle et doubla le pas; mais
comment était-il rentré, puisqu'il lui avait donné la clef? En avait-il une
seconde? Ce fut sa pensée; et, trempée par la pluie, meurtrie par les
chutes, aveuglée par les éclairs, elle ouvrit la porte, la repoussa derrière
elle, croyant la fermer, monta rapidement l'escalier, traversa la chambre
de mon père et ouvrit la porte de la mienne.
»Mais, sur le seuil, elle s'arrêta en poussant un cri...
--Mon ami! mon ami! s'écria Luisa en serrant les mains du jeune
homme.
--Une femme vêtue de blanc était debout près de mon lit, continua le
jeune homme d'une voix altérée, murmurant tout bas un de ces chants
maternels avec lesquels on endort les enfants, et me berçant de la main
en même temps que de la voix. Cette femme, jeune, belle, seulement le
visage couvert d'une mortelle pâleur, avait une tache rouge au milieu du
front.
»La nourrice s'adossa au chambranle de la porte pour ne pas tomber; les
jambes lui manquaient.
»Elle avait bien compris qu'elle était en face d'un être surnaturel et
bienheureux, car la lumière qui éclairait la chambre émanait de lui;
d'ailleurs, peu à peu les contours de l'apparition, parfaitement accusés
d'abord s'effacèrent; les traits du visage devinrent moins distincts, les
chairs et les vêtements, aussi pâles les uns que les autres, se
confondirent en perdant leurs reliefs; le corps devint nuage, le nuage se
transforma en vapeur, enfin la vapeur s'évanouit à son tour, laissant
après elle l'obscurité la plus profonde, et, dans cette obscurité, un
parfum inconnu.
»En ce moment, mon père rentrait lui-même; la nourrice l'entendit, et,
plus morte que vive, l'appela. Il monta à sa voix, alluma une bougie,
trouva la bonne femme au même endroit, tremblante, le front ruisselant
de sueur, pouvant à peine respirer.
»Rassurée par la présence de mon père et par la lumière de la bougie,
elle s'élança vers mon berceau et me prit entre ses bras: je dormais
paisiblement. Pensant que je n'avais rien pris depuis quatre heures de
l'après-midi et que je devais avoir faim, elle me donna son sein, mais je
refusai de le prendre.
»Alors, elle raconta tout à mon père, qui ne comprenait rien à cette
obscurité, à son agitation, à ses terreurs, et surtout à ce parfum
mystérieux qui flottait dans l'appartement.
»Mon père l'écouta avec attention, en homme qui, ayant essayé de les
sonder tous, ne s'étonne d'aucun des mystères de la nature, et, quand
elle en vint à faire le portrait de la femme qui chantait en balançant
mon berceau et qu'elle lui dit que cette femme avait une tache rouge au
milieu du front, il se contenta de répondre:
»--C'était sa mère.
»Plus

Continue reading on your phone by scaning this QR Code
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.