marquis, lui déclarant la guerre, 
Voulait venger la cour immolée au parterre. 
On voit même dans un placet de Molière à Louis XIV, qui fut si grand 
en protégeant les arts, et sans le goût éclairé duquel notre théâtre 
n'aurait pas un seul chef-d'oeuvre de Molière; on voit ce philosophe 
auteur se plaindre amèrement au roi, que pour avoir démasqué les 
hypocrites, ils imprimaient par-tout qu'il était un libertin, un impie, un 
athée, un démon vêtu de chair, habillé en homme; et cela s'imprimait 
avec APPROBATION ET PRIVILEGE de ce roi qui le protégeait: rien 
là-dessus n'est empiré. 
Mais, parce que les personnages d'une pièce s'y montrent sous des 
moeurs vicieuses, faut-il les bannir de la scène? Que poursuivrait-on au 
théâtre? les travers et les ridicules? cela vaut bien la peine d'écrire! ils 
sont chez nous comme les modes; on ne s'en corrige point, on en 
change. 
Les vices, les abus: voilà ce qui ne change point, mais se déguise en 
mille formes sous le masque des moeurs dominantes; leur arracher ce 
masque et les montrer à découvert, telle est la noble tâche de l'homme 
qui se voue au théâtre. Soit qu'il moralise en riant, soit qu'il pleure en 
moralisant, Héraclite ou Démocrite, il n'a pas un autre devoir: malheur 
à lui s'il s'en écarte. On ne peut corriger les hommes qu'en les fesant 
voir tels qu'ils sont. La comédie utile et véridique n'est point un éloge 
menteur, un vain discours d'académie. 
Mais gardons-nous bien de confondre cette critique générale, un des 
plus nobles buts de l'art, avec la satire odieuse et personnelle: l'avantage 
de la première est de corriger sans blesser. Faites prononcer au théâtre 
par l'homme juste, aigri de l'horrible abus des bienfaits: Tous les 
hommes sont des ingrats; quoique chacun soit bien près de penser 
comme lui, personne ne s'offensera. Ne pouvant y avoir un ingrat sans 
qu'il existe un bienfaiteur, ce reproche même établit une balance égale 
entre bons et les mauvais coeurs; on le sent, et cela console. Que si
l'humoriste répond qu'un bienfaiteur fait cent ingrats; on répliquera 
justement qu'il n'y a peut-être pas un ingrat qui n'ait été plusieurs fois 
bienfaiteur; cela console encore. Et c'est ainsi qu'en généralisant, la 
critique la plus amère porte du fruit sans nous blesser, quand la satire 
personnelle, aussi stérile que funeste, blesse toujours et ne produit 
jamais. Je hais par-tout cette dernière, et je la crois un si punissable 
abus, que j'ai plusieurs fois d'office invoqué la vigilance du magistrat 
pour empêcher que le théâtre ne devînt une arène de gladiateurs, où le 
puissant se crût en droit de faire exercer ses vengeances par les plumes 
vénales, et malheureusement trop communes, qui mettent leur bassesse 
à l'enchère. 
N'ont-ils pas assez, ces grands, des mille et un feuillistes, feseurs de 
bulletins, afficheurs, pour y trier les plus mauvais, en choisir un bien 
lâche, et dénigrer qui les offusque? On tolère un si léger mal, parce 
qu'il est sans conséquence, et que la vermine éphémère démange un 
instant et périt; mais le théâtre est un géant, qui blesse à mort tout ce 
qu'il frappe. On doit réserver ses grands coups pour les abus et pour les 
maux publics. 
Ce n'est donc ni le vice ni les incidens qu'il amène, qui font l'indécence 
théâtrale; mais le défaut de leçons et de moralité. Si l'auteur, ou faible 
ou timide, n'ose en tirer de son sujet, voilà ce qui rend sa pièce 
équivoque ou vicieuse. 
Lorsque je mis Eugénie au théâtre, (et il faut bien que je me cite, 
puisque c'est toujours moi qu'on attaque) lorsque je mis Eugénie au 
théâtre, tous nos jurés-crieurs à la décence jetaient des flammes dans 
les foyers, sur ce que j'avais osé montrer un seigneur libertin, habillant 
ses valets en prêtres, et feignant d'épouser une jeune personne qui paraît 
enceinte au théâtre, sans avoir été mariée. 
Malgré leurs cris, la pièce a été jugée, sinon le meilleur, au moins le 
plus moral des drames; constamment jouée sur tous les théâtres, et 
traduite dans toutes les langues. Les bons esprits ont vu que la moralité, 
que l'intérêt y naissaient entièrement de l'abus qu'un homme puissant et 
vicieux fait de son nom, de son crédit, pour tourmenter une faible fille, 
sans appui, trompée, vertueuse et délaissée. Ainsi tout ce que l'ouvrage
a d'utile et de bon, naît du courage qu'eut l'auteur d'oser porter la 
disconvenance sociale au plus haut point de liberté. 
Depuis, j'ai fait les Deux Amis, pièce dans laquelle un père avoue à sa 
prétendue nièce qu'elle est sa fille illégitime: ce drame est aussi 
très-moral; parce qu'à travers les sacrifices de la plus parfaite amitié, 
l'auteur s'attache à y montrer les devoirs qu'impose la nature sur les 
fruits d'un ancien amour, que la rigoureuse dureté des convenances 
sociales, ou plutôt leur abus, laisse trop souvent sans    
    
		
	
	
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