appui. 
Entre autres critiques de la pièce, j'entendis dans une loge, auprès de 
celle que j'occupais, un jeune important de la cour, qui disait gaiement 
à des dames: «L'auteur, sans doute, est un garçon fripier, qui ne voit 
rien de plus élevé que des commis des fermes et des marchands 
d'étoffes; et c'est au fond d'un magasin qu'il va chercher les nobles amis 
qu'il traduit à la scène française.» Hélas! Monsieur, lui dis-je, en 
m'avançant, il a fallu du moins les prendre où il n'est pas impossible de 
les supposer; vous ririez bien plus de l'auteur, s'il eût tiré deux vrais 
amis de l'OEil-de-boeuf et des carrosses? Il faut un peu de 
vraisemblance, même dans les actes vertueux. 
Me livrant à mon gai caractère, j'ai depuis tenté, dans le Barbier de 
Séville, de ramener au théâtre l'ancienne et franche gaieté, en l'alliant 
avec le ton léger de notre plaisanterie actuelle; mais, comme cela même 
était une espèce de nouveauté, la pièce fut vivement poursuivie. Il 
semblait que j'eusse ébranlé l'État; l'excès des précautions qu'on prit et 
des cris qu'on fit contre moi, décelait sur-tout la frayeur que certains 
vicieux de ce temps avaient de s'y voir démasqués. La pièce fut 
censurée quatre fois, cartonnée trois fois sur l'affiche, à l'instant d'être 
jouée, dénoncée même au parlement d'alors; et moi, frappé de ce 
tumulte, je persistais à demander que le public restât le juge de ce que 
j'avais destiné à l'amusement du public. 
Je l'obtins au bout de trois ans. Après les clameurs, les éloges; et 
chacun me disait tout bas: Faites-nous donc des pièces de ce genre, 
puisqu'il n'y a plus que vous qui osiez rire en face. 
Un auteur désolé par la cabale et les criards, mais qui voit sa pièce
marcher, reprend courage; et c'est ce que j'ai fait. Feu M. le prince de 
Conti, de patriotique mémoire, (car, en frappant l'air de son nom, l'on 
sent vibrer le vieux mot patrie) feu M. le prince de Conti, donc, me 
porta le défi public de mettre au théâtre ma préface du Barbier, plus 
gaie, disait-il, que la pièce, et d'y montrer la famille de Figaro que 
j'indiquais dans cette préface. Monseigneur, lui répondis-je, si je 
mettais une seconde fois ce caractère sur la scène, comme je le 
montrerais plus âgé, qu'il en saurait quelque peu davantage, ce serait 
bien un autre bruit: et qui sait s'il verrait le jour! Cependant, par respect 
j'acceptai le défi; je composai cette Folle Journée, qui cause 
aujourd'hui la rumeur. Il daigna la voir le premier. C'était un homme 
d'un grand caractère, un prince auguste, un esprit noble et fier: le 
dirai-je? il en fut content. 
Mais quel piége, hélas! j'ai tendu au jugement de nos critiques, en 
appelant ma comédie du vain nom de Folle Journée! Mon objet était 
bien de lui ôter quelqu'importance; mais je ne savais pas encore à quel 
point un changement d'annonce peut égarer tous les esprits. En lui 
laissant son véritable titre, on eût lu l'Epoux suborneur. C'était pour eux 
une autre piste; on me courait différemment; mais ce nom de Folle 
Journée les a mis à cent lieues de moi: ils n'ont plus rien vu dans 
l'ouvrage que ce qui n'y sera jamais; et cette remarque un peu sévère, 
sur la facilité de prendre le change, a plus d'étendue qu'on ne croit. Au 
lieu du nom de Georges Dandin, si Molière eût appelé son drame la 
Sottise des alliances, il eût porté bien plus de fruit: si Regnard eût 
nommé son Légataire, la Punition du célibat, la pièce nous eût fait 
frémir. Ce à quoi il ne songea pas, je l'ai fait avec réflexion. Mais qu'on 
ferait un beau chapitre sur tous les jugemens des hommes et la morale 
du théâtre, et qu'on pourrait intituler: De l'influence de l'Affiche! 
Quoi qu'il en soit, la Folle Journée resta cinq ans au porte-feuille; les 
comédiens ont su que je l'avais, ils me l'ont enfin arrachée. S'ils ont 
bien ou mal fait pour eux, c'est ce qu'on a pu voir depuis. Soit que la 
difficulté de la rendre excitât leur émulation; soit qu'ils sentissent avec 
le public que pour lui plaire en comédie, il fallait de nouveaux efforts, 
jamais pièce aussi difficile n'a été jouée avec autant d'ensemble; et si 
l'auteur (comme on le dit) est resté au-dessous de lui-même, il n'y a pas
un seul acteur dont cet ouvrage n'ait établi, augmenté ou confirmé la 
réputation. Mais revenons à sa lecture, à l'adoption des comédiens. 
Sur l'éloge outré qu'ils en firent, toutes les sociétés voulurent le 
connaître, et dès-lors il fallut me faire des querelles de toute espèce, ou 
céder aux instances universelles. Dès-lors aussi les grands ennemis de 
l'auteur ne manquèrent pas de répandre à la cour qu'il blessait dans cet 
ouvrage, d'ailleurs un tissu de bêtises, la religion,    
    
		
	
	
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