si vaste minute, 
j'aurais voulu pouvoir prendre d'un coup, à la façon d'un objectif, pour 
les garder toujours, ces types de beauté française, ces figures modelées 
par l'héroïsme et sculptées par le sacrifice... il me fut impossible,... et je 
n'en vis bien qu'une, mais que je tiens, que je conserve à jamais fixée en 
moi, «épreuve» indélébile, celle de l'officier, capitaine ou chef 
d'escadron, je ne sais (car je n'avais pas de temps à perdre aux manches 
et aux galons), qui tenait la droite en allant aux Champs-Elysées, un 
grand homme d'un blond brûlé, à moustache gauloise, qui me trouva lui 
aussi, comme moi je l'avais discerné, et qui rendit à mon élan, et voulut 
bien, tout en passant rester un peu avec moi, pendant toute la durée du 
regard que le mien lui demandait... Ses yeux ne me quittèrent que 
quand il lui aurait fallu détourner la tête, cesser de l'avoir droite et 
haute... Mais que de profondeur méditative, douce et puissante à la fois 
ils avaient, battus et cernés par l'ombre violette du casque! 
C'est ainsi que le 2 août, vers deux heures, cet officier et moi, qui ne 
nous connaissions pas, nous avons été présentés l'un à l'autre pour 
devenir amis. 
J'ai la conviction que nous nous reverrons. 
 
Mardi 4 août. A la Chambre.--Toutes les tribunes sont pleines d'un 
public immobile et comme pétrifié par l'attente. L'hémicycle est 
presque vide... Aux cadrans de la double horloge encastrée dans la 
muraille l'aiguille marque 3 heures. Le président paraît. Grave, chargé 
du poids de son recueillement, abîmé dans son obsession, avec cette 
lenteur, cette roideur automatique et cette absence momentanée du 
corps rejeté par l'esprit qu'investissent les grandes pensées, il monte, 
comme s'il gravissait une pénible pente, l'escalier en haut duquel 
l'attend plus solennel et plus majestueux le fauteuil curule, plaqué de 
bronze. Arrivé là il reste debout un instant, l'extrémité des mains 
touchant le bord de la table... paraissant déjà essayer et subir en 
lui-même l'acoustique de son émotion... Et voici que, un par un, par
files, par petits groupes, les députés gagnent leurs bancs et occupent 
leurs places, dans un silence militaire. Pour l'observer, ce spontané 
silence, approprié au caractère des explosions qui couvent, ils ne se 
sont certes pas donné le mot dans une sous-commission... Ils obéissent 
simplement à cette consigne de l'instinct moral qui, dans les grandes 
circonstances, commande tout bas ce qu'il faut faire; aussi cette entrée 
lourde, ordonnée, solide, cette espèce de liturgie muette, communique à 
la scène un incroyable aspect de cérémonie religieuse, sous ce jour gris 
et austère d'église, dans cette enceinte où les colonnes sont rangées 
circulairement, en forme de choeur ainsi que dans un temple... 
... Et puis la splendeur prévue, indubitable et délirante de la séance 
historique s'étend et s'accomplit dans un cortège et une harmonie de 
beautés cornéliennes. Dix fois, vingt fois... on ne les comptait plus... les 
six cents députés, galvanisés par l'éloquence de Deschanel et de Viviani 
traduisant, célébrant en formules d'une noblesse lapidaire les 
sentiments éternels qui font l'honneur des nations et des hommes,--se 
levèrent ensemble, comme si l'on avait crié: «En avant!», se dressèrent 
debout, poussant une même clameur d'amour et de liberté. Ils partaient 
comme des salves... Ils ne se voyaient probablement pas,... délivrés de 
leurs sens et montés au-dessus d'eux-mêmes dans cette patriotique 
ascension, mais nous, venus là pour témoigner à leurs côtés sans avoir 
le droit de le faire comme eux, nous les voyions, nous étions ravagés 
par leur enthousiasme que renforçait notre silence... et nous entendions 
sortir de leur bouche les cris retenus dans nos poitrines. Oh! plus tard, 
quand ce sera fini, qu'un petit-fils de David, qu'un peintre jeune, 
inconnu, et tourmenté par son génie naissant, fasse de cette séance un 
impérissable tableau! Qu'il donne au Serment du Jeu de Paume un 
pendant de grandeur antique, afin que nous puissions posséder, fixées 
et nommées sur la toile, dans le Louvre et le Panthéon de nos annales, 
toutes ces figures baisées par la flamme divine, toutes ces faces 
embrasées, pareilles à des buissons ardents, tous ces bras levés, toutes 
ces mains ouvertes et ces poings brandis, tous ces hommes debout, 
tumultueux comme un orage et paisibles comme des rocs! En attendant, 
la salle du Parlement est, à partir de cette séance, transformée, 
nettoyée... Elle n'est plus la même; elle a subi les «réparations» 
nécessaires, elle est remise à neuf pour un siècle et l'on n'y pourra plus
jamais dire et proférer certaines mauvaises paroles de division, 
d'injustice et de haine sans qu'aussitôt elles ne détonnent et ne 
retombent mortes sur ceux qui les auraient lancées... car les murs sont 
désormais couverts des devises marmoréennes, des inscriptions saintes 
et des cris libérateurs... _Plus de partis! Rien que des Français! Une 
seule âme!_... qui, ce jour du 4 août 1914, ont été    
    
		
	
	
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