Odessa avant-hier! Il devrait être ici, sur
cette place, à ce café, à cette heure, où je lui ai donné rendez-vous!...»
En ce moment, un marin maltais parut à l'angle du quai. C'était Yarhud.
Il regarda à droite, à gauche, et aperçut Scarpante. Celui-ci se leva
aussitôt, quitta le café, et vint rejoindre le capitaine de la _Guïdare_,
tandis que quelques passants, plus nombreux mais toujours silencieux,
allaient et venaient au fond de la place.
«Je n'ai pas l'habitude d'attendre, Yarhud! dit Scarpante d'un ton auquel
le Maltais ne pouvait se méprendre.
--Que Scarpante me pardonne, répondit Yarhud, mais j'ai fait toute la
diligence possible pour être exact à ce rendez-vous.
--Tu arrives à l'instant?
--A l'instant, par le chemin de fer de Ianboli à Andrinople, et, sans un
retard du train....
--Quand as-tu quitté Odessa?
--Avant-hier.
--Et ton navire?
--Il m'attend à Odessa, dans le port.
--Ton équipage, tu en es sûr?
--Absolument sûr! Des Maltais, comme moi, dévoués à qui les paye
généreusement.
--Ils t'obéiront?...
--En cela, comme en tout.
--Bien! Quelles nouvelles m'apportes-tu, Yarhud?
--Des nouvelles à la fois bonnes et mauvaises, répondit le capitaine, en
baissant un peu la voix.
--Quelles sont les mauvaises, d'abord? demanda Scarpante.
--Les mauvaises, c'est que la jeune Amasia, la fille du banquier Sélim,
d'Odessa, doit bientôt se marier! C'est que son enlèvement présentera
plus de difficultés et demandera plus de hâte que si son mariage n'était
ni décidé ni prochain!
--Ce mariage ne se fera pas, Yarhud! s'écria Scarpante un peu plus haut
qu'il ne convenait. Non, par Mahomet, il ne se fera pas!
--Je n'ai pas dit qu'il se ferait, Scarpante, répondit Yarhud, j'ai dit qu'il
devait se faire.
--Soit, répliqua l'intendant, mais avant trois jours, le seigneur Saffar
entend que cette jeune fille soit embarquée pour Trébizonde; et, si tu le
jugeais impossible....
--Je n'ai pas dit que c'était impossible, Scarpante. Rien n'est impossible
avec de l'audace et de l'argent. J'ai simplement dit que ce serait plus
difficile, voilà tout.
--Difficile! répondit Scarpante. Ce ne sera pas la première fois qu'une
jeune fille turque ou russe aura disparu d'Odessa et manquera au logis
paternel!
--Et ce ne sera pas la dernière, répondit
Yarhud, ou le capitaine de la _Guïdare_ ne saurait plus son métier!
--Quel est l'homme que doit prochainement épouser la jeune Amasia?
demanda Scarpante.
--Un jeune Turc, de même race qu'elle.
--Un Turc d'Odessa?
--Non, de Constantinople.
--Et il se nomme?...
--Ahmet.
--Qu'est-ce que cet Ahmet?
--Le neveu et l'unique héritier d'un riche négociant de Galata, le
seigneur Kéraban.
--Que fait ce Kéraban?
--Le commerce des tabacs, dans lequel il a gagné une grande fortune. Il
a pour correspondant à Odessa le banquier Sélim. Ils font ensemble
d'importantes affaires et se rendent souvent visite. C'est dans ces
circonstances qu'Ahmet a connu Amasia. C'est de cette façon que le
mariage a été décidé entre le père de la jeune fille et l'oncle du jeune
homme.
--Où le mariage doit-il se faire? demanda Scarpante. Est-ce ici, à
Constantinople?
--Non, à Odessa.
--A quelle époque?
--Je ne sais, mais il est à craindre que, sur les instances du jeune Ahmet,
il ne se fasse d'un jour à l'autre.
--Il n'y a donc pas un instant à perdre?
--Pas un!
--Où est maintenant cet Ahmet?
--A Odessa.
--Et ce Kéraban?
--A Constantinople.
--As-tu vu ce jeune homme, Yarhud, pendant le temps qui s'est écoulé
entre ton arrivée à Odessa et ton départ?
--J'avais intérêt à le voir, à le connaître, Scarpante... Je l'ai vu et je le
connais.
--Comment est-il?
--C'est un jeune homme fait pour plaire, et qui plaît à la fille du
banquier Sélim.
--Est-il à redouter?
--On le dit très brave, très résolu, et, dans cette affaire, il faudra
compter avec lui!
--Est-il indépendant par sa position, par sa fortune? demanda Scarpante,
en insistant sur les divers traits du caractère de ce jeune Ahmet, qui ne
laissait pas de l'inquiéter.
--Non, Scarpante, répondit Yarhud. Ahmet dépend de son oncle et
tuteur, le seigneur Kéraban, qui l'aime comme un fils et qui, bientôt
sans doute, doit se rendre à Odessa pour la conclusion de ce mariage.
--Ne pourrait-on retarder le départ de ce Kéraban?
--Ce serait ce qu'il y aurait de mieux à faire, et cela nous donnerait plus
de temps pour agir. Quant à la manière de s'y prendre?...
--C'est à toi de l'imaginer, Yarhud, répondit Scarpante, mais il faut que
les volontés du seigneur Saffar s'accomplissent et que la jeune Amasia
soit transportée à Trébizonde. Ce ne sera pas la première fois que la
tartane la _Guïdare_ aura visité, pour son compte, le littoral de la mer
Noire, et tu sais comment il paye les services...
--Je le sais, Scarpante.
--Or, le seigneur Saffar a vu cette jeune fille, rien qu'un instant, dans
son habitation d'Odessa, sa beauté l'a

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