éclatant la majeur, et où le staccato des hautbois alterne avec les 
cordes qui chantent, le tout ponctué par des bassons goguenards qui 
semblent rire dans leur barbe de la terrible noyade de la Mer Rouge. 
J'ai ouï dire mainte fois que Beethoven avait donné aux instruments de 
l'orchestre une signification plus étendue que ne faisaient ses 
prédécesseurs, et qu'il avait employé le hautbois, notamment, à toute 
sorte de fins, tandis qu'on le reléguait jadis dans le genre pastoral. Que 
la foudre m'écrase si je veux rabaisser la gloire de Beethoven! Mais il 
ne faut pas s'imaginer que Bach et Hændel condamnent le hautbois à 
l'églogue sempiternelle. Dans l'air avec choeurs de la _Passion_: «Je 
veux veiller auprès de Jésus...», le hautbois, d'un bout à l'autre de cette 
tendre et douloureuse mélodie, ne cesse de faire entendre ses plaintes: 
et il n'y a là ni pasteurs ni troupeaux,--rien qu'une âme souffrante, 
enveloppée par la pieuse compassion de ceux pour qui elle souffre. 
Hændel a souvent le hautbois héroïque. Il en tire de merveilleux effets 
en le mêlant au tambour. Il est vrai qu'on peut alors s'imaginer un 
peuple pasteur et conquérant, qui pousse devant lui, pêle-mêle, des 
troupeaux immenses avec la foule des vaincus. Mais il n'y a rien de tel 
dans l'invocation à Bacchus de la _Fête d'Alexandre_, où le maître a si 
puissamment exprimé l'enthousiasme de la coupe, voilé parfois de cette 
vague mélancolie qui apparaît à certaines phases de l'ivresse. Dans ce 
chant de fête le hautbois est fringant et martial. Il est plein d'une mâle 
résolution dans le prélude et l'accompagnement de notre duo de basses;
il y prend des allures de trompette primitive. 
Je me figure volontiers ce duo chanté dans le Paradis, aux jours 
anniversaires de la délivrance d'Israël, par le chevalier saint Georges et 
par saint Michel archange. «Le Seigneur est un homme de guerre, 
disent les deux basses; le Seigneur est son nom; les chars de Pharaon et 
son armée, il les a jetés dans la mer.» Soyez sûres, basses, que nous 
n'en doutons pas et qu'il serait difficile d'en douter, devant l'énergie 
sauvage que vous mettez à nous le dire, barbes irritées! 
Mais ne serait-ce pas plutôt Ézéchiel et Isaïe, ou deux autres parmi ces 
vénérables boucs de prophètes, qui, dans la seconde partie, attaquent en 
mineur un canon lugubre? «L'élite de ses capitaines, elle est noyée 
aussi dans la Mer Rouge...» Cela est entrecoupé, mystérieux, terrible; 
les cordes répètent les mêmes notes avec tremblement; on pense au 
châtiment inéluctable, au grand silence qui se fera sur cette armée 
lorsque la mer aux algues l'aura recouverte tout entière. Car le fait 
semble s'accomplir sous nos yeux, et quelque chose de fortement 
dramatique est mêlé à cet hymne de triomphe. Il reprend avec 
enthousiasme et s'achève dans la gloire. Je regrette que la phrase finale 
n'ait pas été chantée avec toute l'ampleur possible, comme on l'eût fait 
en Angleterre. Il ne faut pas craindre de ralentir lorsque Hændel aboutit 
à ses prodigieuses cadences. Il semble qu'elles illuminent d'une façon 
rétrospective tout ce que l'on vient d'entendre. Je crois voir de hautes et 
massives portes de bronze, ces portes éternelles dont parlait le 
Psalmiste, rouler sur leurs gonds avec lenteur et découvrir aux yeux 
éblouis l'intérieur même du temple avec la profusion des lumières, les 
trésors de l'autel, les prêtres radieux, la foule prosternée parmi les 
chants de fête et les vapeurs de la myrrhe. 
M. Kaufmann, qui a une voix de ténor très pure et qui se maintient dans 
le registre aigu avec une grande facilité, est né pour être évangéliste. 
C'est lui qui, lorsqu'on exécute à Bâle la Passion selon saint Matthieu 
ou _l'Oratorio de Noël_, annonce au peuple la bonne nouvelle. Le ténor, 
dans _Israël en Égypte_, chante quelques courts récits, puissamment 
expressifs, et soutenus à cette hauteur qui était si naturelle à Hændel. 
Cet homme fut robuste, noble et grand sans le moindre effort:
aujourd'hui on se travaille, on peine, on sue sang et eau pour être trivial 
ou maladif. Quelle force dans cette simple phrase, dite par le ténor 
pendant un absolu silence des instruments: «Il changea leurs eaux en 
sang!» 
Le ténor chante aussi un air farouche, à trois temps, hérissé de rapides 
vocalises, et comme haletant de fureur. «Je poursuivrai, disait l'ennemi, 
j'atteindrai, je partagerai le butin: je tirerai l'épée, ma main les 
exterminera...» Est-il besoin d'ajouter que la prétention de l'Égyptien 
est immédiatement mise à néant? Dans la réponse il n'y a point de 
colère, et l'effet de cette calme victoire est d'autant plus irrésistible. 
C'est le soprano qui déroule un chant d'actions de grâces: «Tu lanças 
ton souffle; la mer les recouvrit»,--et cela, lentement et paisiblement, 
tandis que les doux violoncelles accompagnent. «Ils s'enfoncèrent 
comme du plomb dans les puissantes eaux.» Il y a quelque chose    
    
		
	
	
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