d'unique, et où palpite vraiment l'âme de la Bible, dans l'émotion 
contenue et la sereine grandeur de cet hymne adapté sur des paroles 
terribles. A la fin de l'air je remarque un redoublement de la formule 
familière à Hændel. Napoléon disait que, de toutes les figures de 
rhétorique, la plus puissante est la répétition. Hændel est de ceux qui ne 
craignent pas d'insister lorsqu'il le faut. Si vous ne voulez pas 
comprendre, c'est de force qu'il vous fera entrer les choses dans la tête. 
Je n'ai pas encore parlé de mademoiselle Hermine Spies, qui possède le 
plus admirable contralto que j'aie entendu. Qu'il me soit permis de lui 
appliquer le mot du pauvre Lear à Cordelia: «_Last; not least._» Bien 
au contraire; car mademoiselle Spies chante la musique de Bach et de 
Hændel, voire toute espèce de musique, avec une si profonde 
intelligence et une conviction si forte que la beauté de la voix devient 
chez elle une qualité secondaire. 
Hændel aimait particulièrement le contralto; et je ne pense pas qu'on ait 
jamais écrit comme lui pour cette voix chaude et presque virile, capable 
pourtant des inflexions les plus caressantes. Il en fait valoir toutes les 
ressources avec un art infini; mais ce qu'il y a de plus remarquable, c'est 
le rapport qu'il sait établir entre la nature de l'inspiration, dans telle 
mélodie, et le genre de voix qu'il choisit pour l'interpréter. Il semble
qu'il y ait dans l'alto quelque chose de collectif: c'est la voix que 
j'attribuerais à «la fille de Jérusalem» qui symbolise le peuple entier, 
surtout dans les prières jaillies de l'âme à l'heure du suprême péril ou 
dans les actions de grâces qui suivent ce péril à peine conjuré. Cette 
voix exprime encore très puissamment une joie profonde qui, par 
l'excès même de son intensité, ne peut se répandre en clameurs aiguës 
et en éblouissantes vocalises. Il serait facile de multiplier les exemples 
pris dans les différents oratorios de Hændel. D'ailleurs cette 
appropriation de l'idée à l'organe choisi par le musicien est de toute 
nécessité; mais on la réalise avec plus ou moins de perfection. 
Hændel, dans son _Israël en Égypte_, a confié au contralto le soin de 
raconter l'histoire de ces étonnantes grenouilles qui envahirent 
jusqu'aux chambres de Pharaon. L'accompagnement de l'air est quelque 
peu descriptif; le rythme sautillant et brusque simule, si l'on veut, la 
marche des grenouilles. Mais il n'y a rien de mesquin, de puérilement 
imitatif dans le récit de cette invasion qui ne donne guère envie de rire. 
Hændel, la musique même, ne se fût pas avisé d'écrire un 
accompagnement dont le sens échapperait si les paroles venaient à 
manquer. Qu'il s'agisse de tout autre chose que de grenouilles, et le 
dessin de l'orchestre restera précis, sans rien d'obscur ni même de 
bizarre. Cette remarque est applicable aux choeurs où il est question 
des mouches et de la grêle. Ce qu'il y a là de descriptif est peu de chose; 
j'admire surtout que le maître ait su trouver des analogies mystérieuses, 
bien réelles pourtant, entre les phénomènes dont il veut suggérer la 
vision et les moyens purement musicaux qu'il a employés, rythmes ou 
effets d'orchestre. C'est avec la même puissance et la même mesure, me 
semble-t-il, que Wagner a su donner la sensation de l'eau, du feu, de 
l'orage, de toutes les choses physiques. On ne peut mettre en doute la 
réalité des analogies dont je parle lorsqu'on entend l'extraordinaire 
choeur des Ténèbres d'_Israël en Égypte_. Elles y sont palpables; et 
pourtant aucun moyen bassement imitatif ne pouvait donner une telle 
impression. 
Ce sont d'énormes batraciens, des grenouilles aux mugissements de 
boeuf qui envahissent le palais des pharaons. Rien de beau comme la 
gravité du chant où est narré ce désastre, qui ferait sourire les êtres chez
qui l'absence de toute noblesse vraie a développé outre mesure le 
sentiment du ridicule. Avec un élan magnifique la voix s'écrie: «Il livra 
leurs troupeaux à la peste: pustules et tumeurs couvrirent l'homme et la 
bête.» Cela est repris dans le grave sur un rythme inexorable, tandis 
qu'au-dessus de ce chant lugubre et résolu bondit à l'orchestre la 
multitude des grenouilles. Dans les mâles vocalises de l'alto, dans 
l'enthousiasme qui, par moments, soulève la voix, dans la cadence 
finale longtemps arrêtée sur un si bémol grave qui ronfle terriblement, 
il y a certes une émotion: celle de la justice enfin satisfaite et de la force 
qui admire son oeuvre. 
Le duo en ré mineur pour alto et ténor: «Dans ta miséricorde tu as 
conduit ton peuple», est d'un caractère purement religieux et, par la 
concentration du sentiment, fait songer à Bach. Comme elle est 
émouvante dans sa simplicité, cette phrase en majeur: «Tu l'as guidé 
dans ta force»--qui commence par une paisible ascension des six 
premiers degrés de la gamme! Pour que tout l'effet soit donné,    
    
		
	
	
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