tous les 
détails, ou s'arrêtait fixement sur les gens dont il voulait connaître les 
plus profondes pensées. 
Or, le parrain Drosselmayer qui, ainsi que nous l'avons dit, était 
conseiller de médecine, au lieu de s'occuper, comme la plupart de ses 
confrères, à tuer correctement, et selon les règles, les gens vivants, 
n'était préoccupé que de rendre, au contraire, la vie aux choses mortes, 
c'est-à-dire qu'à force d'étudier le corps des hommes et des animaux, il 
était arriv connaître tous les ressorts de la machine, si bien qu'il 
fabriquait des hommes qui marchaient, qui saluaient, qui faisaient des 
armes; des dames qui dansaient, qui jouaient du clavecin, de la harpe et 
de la viole; des chiens qui couraient, qui rapportaient et qui aboyaient; 
des oiseaux qui volaient, qui sautaient et qui chantaient; des poissons
qui nageaient et qui mangeaient. Enfin, il en était même venu à faire 
prononcer aux poupées et aux polichinelles quelques mots peu 
compliqués, il est vrai, comme papa, maman, dada; seulement, c'était 
d'une voix monotone et criarde qui attristait, parce qu'on sentait bien 
que tout cela était le résultat d'une combinaison automatique, et qu'une 
combinaison automatique n'est toujours, à tout prendre, qu'une parodie 
des chefs-d'oeuvre du Seigneur. 
Cependant, malgré toutes ces tentatives infructueuses, parrain 
Drosselmayer ne désespérait point et disait fermement qu'il arriverait 
un jour à faire de vrais hommes, de vraies femmes, de vrais chiens, de 
vrais oiseaux et de vrais poissons. Il va sans dire que ses deux filleuls, 
auxquels il avait promis ses premiers essais en ce genre, attendaient ce 
moment avec une grande impatience. 
On doit comprendre qu'arrivé à ce degré de science en mécanique, 
parrain Drosselmayer était un homme précieux pour ses amis. Aussi 
une pendule tombait-elle malade dans la maison du président 
Silberhaus, et, malgré le soin des horlogers ordinaires, ses aiguilles 
venaient-elles à cesser de marquer l'heure; son tic-tac, à s'interrompre; 
son mouvement, à s'arrêter; on envoyait prévenir le parrain 
Drosselmayer, lequel arrivait aussitôt tout courant, car c'était un artiste 
ayant l'amour de son art, celui-là. Il se faisait conduire auprès de la 
morte qu'il ouvrait à l'instant même, enlevant le mouvement qu'il 
plaçait entre ses deux genoux; puis alors, la langue passant par un coin 
de ses lèvres, son oeil unique brillant comme une escarboucle, sa 
perruque de verre posée à terre, il tirait de sa poche une foule de petits 
instruments sans nom, qu'il avait fabriqués lui-même et dont lui seul 
connaissait la propriété, choisissait les plus aigus, qu'il plongeait dans 
l'intérieur de la pendule, acuponcture qui faisait grand mal à la petite 
Marie, laquelle ne pouvait croire que la pauvre horloge ne souffrît pas 
de ces opérations, mais qui, an contraire, ressuscitait la gentille 
trépanée, qui, dès qu'elle était replacée dans son coffre, ou entre ses 
colonnes, ou sur son rocher, se mettait à vivre, battre et à ronronner de 
plus belle; ce qui rendait aussitôt l'existence à l'appartement, qui 
semblait avoir perdu son âme en perdant sa joyeuse pensionnaire. 
Il y a plus: sur la prière de la petite Marie, qui voyait avec peine le 
chien de la cuisine tourner la broche, occupation très-fatigante pour le 
pauvre animal, le parrain Drosselmayer avait consenti à descendre des
hauteurs de sa science pour fabriquer un chien automate, lequel tournait 
maintenant la broche sans aucune douleur ni aucune convoitise, tandis 
que Turc, qui, au métier qu'il avait fait depuis trois ans, était devenu 
très-frileux, se chauffait en véritable rentier le museau et les pattes, sans 
avoir autre chose à faire que de regarder son successeur, qui, une fois 
remonté, en avait pour une heure faire sa besogne gastronomique sans 
qu'on eût à s'occuper seulement de lui. 
Aussi, après le président, après la présidente, après Fritz et après Marie, 
Turc était bien certainement l'être de la maison qui aimait et vénérait le 
plus le parrain Drosselmayer, auquel il faisait grande fête toutes les fois 
qu'il le voyait arriver, annonçant même quelquefois, par ses aboiements 
joyeux et par le frétillement de sa queue, que le conseiller de médecine 
était en route pour venir, avant même que le digne parrain eût touché le 
marteau de la porte. 
Le soir donc de cette bienheureuse veille de Noël, au moment o le 
crépuscule commençait à descendre, Fritz et Marie, qui, de toute la 
journée, n'avaient pu entrer dans le grand salon d'apparat, se tenaient 
accroupis dans un petit coin de la salle manger. 
Tandis que mademoiselle Trudchen, leur gouvernante, tricotait près de 
la fenêtre, dont elle s'était approchée pour recueillir les derniers rayons 
du jour, les enfants étaient pris d'une espèce de terreur vague, parce que, 
selon l'habitude de ce jour solennel, on ne leur avait pas apporté de 
lumière; de sorte qu'ils parlaient bas comme on parle quand on a un 
petit peu peur. 
--Mon frère, disait Marie, bien certainement papa et maman s'occupent 
de    
    
		
	
	
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