décidée, et on se défiait d'ailleurs des 
militaires. Il n'existait donc, comme nous venons de le dire, que deux 
grandes renommées, Sieyès et Carnot. Dans l'impossibilité d'avoir l'une, 
on avait acquis l'autre. Barras avait de l'action; Rewbell, Letourneur, 
étaient des travailleurs; Larévellière-Lépaux était un homme sage et 
probe. Il eût été difficile, dans le moment, de composer autrement la 
magistrature suprême. 
La situation dans laquelle ces cinq magistrats arrivaient au pouvoir était 
déplorable; et il fallait aux uns beaucoup de courage et de vertu, aux 
autres beaucoup d'ambition, pour accepter une semblable tâche. On 
était au lendemain d'un combat dans lequel il avait fallu appeler une 
faction pour en combattre une autre. Les patriotes qui venaient de 
verser leur sang se montraient exigeans; les sectionnaires n'avaient 
point cessé d'être hardis. La journée du 13 vendémiaire, en un mot, 
n'avait pas été une de ces victoires suivies de terreur, qui, tout en 
soumettant le gouvernement au joug de la faction victorieuse, le 
délivrent au moins de la faction vaincue. Les patriotes s'étaient relevés, 
les sectionnaires ne s'étaient pas soumis. Paris était rempli des intrigans 
de tous les partis, agité par toutes les ambitions, et livré à une affreuse 
misère. 
Aujourd'hui, comme en prairial, les subsistances manquaient dans 
toutes les grandes communes; le papier-monnaie apportait le désordre 
dans les transactions, et laissait le gouvernement sans ressources. La 
convention n'ayant pas voulu céder les biens nationaux pour trois fois 
leur valeur de 1790, en papier, les ventes avaient été suspendues; le 
papier, qui ne pouvait rentrer que par les ventes, était resté en 
circulation, et sa dépréciation avait fait d'effrayans progrès. Vainement 
avait-on imaginé l'échelle de proportion pour diminuer la perte de ceux 
qui recevaient les assignats: cette échelle ne les réduisait qu'au 
cinquième, tandis qu'ils ne conservaient pas même le cent cinquantième 
de leur valeur primitive. L'état, ne percevant que du papier par l'impôt, 
était ruiné comme les particuliers. Il percevait, il est vrai, une moitié de
la contribution foncière en nature, ce qui lui procurait quelques denrées 
pour nourrir les armées; mais souvent les moyens de transport lui 
manquaient, et ces denrées pourrissaient dans les magasins. Pour 
surcroît de dépenses, il était obligé, comme on sait, de nourrir Paris. Il 
livrait la ration pour un prix en assignat, qui couvrait à peine le 
centième des frais. Ce moyen, du reste, était le seul possible, pour 
fournir au moins du pain aux rentiers et aux fonctionnaires publics 
payés en assignats; mais cette nécessité avait porté les dépenses à un 
taux énorme. N'ayant que du papier pour y suffire, l'état avait émis des 
assignats sans mesure, et avait porté en quelques mois l'émission de 12 
milliards à 29. Par les anciennes rentrées et les encaisses, la somme en 
circulation réelle s'élevait à 19 milliards, ce qui dépassait tous les 
chiffres connus en finances. Pour ne pas multiplier davantage les 
émissions, la commission des cinq, instituée dans les derniers jours de 
la convention, pour proposer des moyens extraordinaires de police et de 
finances, avait fait décréter en principe une contribution extraordinaire 
de guerre de vingt fois la contribution foncière et dix fois l'impôt des 
patentes, ce qui pouvait produire de 6 à 7 milliards en papier. Mais 
cette contribution n'était décrétée qu'en principe; en attendant on 
donnait aux fournisseurs des inscriptions de rentes, qu'ils recevaient à 
un taux ruineux. Cinq francs de rente étaient reçus pour dix francs de 
capital. On essayait en outre d'un emprunt volontaire à trois pour cent, 
qui était ruineux aussi et mal rempli. 
Dans cette détresse épouvantable, les fonctionnaires publics, ne 
pouvant pas vivre de leurs appointemens, donnaient leur démission; les 
soldats quittaient les armées, qui avaient perdu un tiers de leur effectif, 
et revenaient dans les villes, où la faiblesse du gouvernement leur 
permettait de rester impunément. Ainsi, cinq armées et une capitale 
immense à nourrir, avec la simple faculté d'émettre des assignats sans 
valeur; ces armées à recruter, le gouvernement entier à reconstituer au 
milieu de deux factions ennemies, telle était la tâche des cinq 
magistrats qui venaient d'être appelés à l'administration suprême de la 
république. 
Le besoin d'ordre est si grand dans les sociétés humaines, qu'elles se 
prêtent elles-mêmes à son rétablissement, et secondent 
merveilleusement ceux qui se chargent du soin de les réorganiser; il 
serait impossible de les réorganiser si elles ne s'y prêtaient pas, mais il
n'en faut pas moins reconnaître le courage et les efforts de ceux qui 
osent se charger de pareilles entreprises. Les cinq directeurs, en se 
rendant au Luxembourg, n'y trouvèrent pas un seul meuble. Le 
concierge leur prêta une table boiteuse, une feuille de papier à lettre, 
une écritoire, pour écrire le premier message, qui annonçait aux deux 
conseils que le directoire était constitué. Il n'y avait pas un sou en 
numéraire à la trésorerie. Chaque nuit on imprimait les assignats    
    
		
	
	
	Continue reading on your phone by scaning this QR Code
 
	 	
	
	
	    Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the 
Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.
	    
	    
