y attachait son honneur, son existence politique, et celle 
de la France. Ce système repoussait du continent toutes les 
marchandises, ou anglaises, ou qui avaient payé un droit quelconque à 
l'Angleterre. Il ne pouvait réussir que par un accord unanime: on ne 
devait l'espérer que d'une domination unique et universelle. 
D'ailleurs la France s'était aliéné les peuples par ses conquêtes, et les 
rois par sa révolution et sa dynastie nouvelle. Elle ne pouvait plus avoir 
d'amis ni de rivaux, mais seulement des sujets; car les uns eussent été 
faux, et les autres implacables: il fallait donc que tous lui fussent 
soumis, ou elle à tous. 
C'est ainsi que son chef, entraîné par sa position, et poussé par son 
caractère entreprenant, se remplit du vaste projet de rester seul maître 
de l'Europe, en écrasant la Russie et en lui arrachant la Pologne. Il le
contenait avec tant de peine que déjà il commençait à lui échapper de 
toutes parts. Les immenses préparatifs que nécessitait une si lointaine 
entreprise, ces amas de vivres et de munitions, tous ces bruits d'armes, 
de chariots, et des pas de tant de soldats, ce mouvement universel, ce 
cours majestueux et terrible de toutes les forces de l'Occident contre 
l'Orient, tout annonçait à l'Europe que ses deux plus grands colosses 
étaient près de se mesurer. 
Mais, pour atteindre la Russie, il fallait dépasser l'Autriche, traverser la 
Prusse, et marcher entre la Suède et la Turquie: une alliance offensive 
avec ces quatre puissances était donc indispensable. L'Autriche était 
soumise à l'ascendant de Napoléon, et la Prusse à ses armes; il n'eut 
qu'à leur montrer son entreprise: l'Autriche s'y précipita d'elle-même: il 
y poussa facilement la Prusse. 
Néanmoins la première s'y jeta sans aveuglement. Située entre les deux 
colosses du nord et de l'ouest, elle se plut à les voir aux prises; elle 
espéra qu'ils s'affaibliraient mutuellement, et que sa force s'accroîtrait 
de leur épuisement. Le 14 mars 1812, elle promit trente mille hommes 
à la France: mais elle leur prépara en secret de prudentes instructions. 
Elle obtint une promesse vague d'agrandissement pour indemnité de ses 
frais de guerre, et se fit garantir la possession de la Gallicie. Toutefois 
elle admit la possibilité à venir de la cession d'une partie de cette 
province au royaume de Pologne; elle eût reçu en dédommagement les 
provinces illyriennes: l'article 6 du traité secret en fait foi. 
Ainsi le succès de la guerre ne dépendit pas de la cession de la Gallicie, 
et des ménagemens qu'imposait la jalousie autrichienne pour cette 
possession. Napoléon aurait donc pu, dès son entrée à Wilna, proclamer 
ouvertement la libération de toute la Pologne, au lieu de tromper son 
attente, de l'étonner, de l'attiédir par des paroles incertaines. 
C'était là pourtant un de ces points saillans qui, dans toute affaire de 
politique comme de guerre, sont décisifs, auxquels tout se rattache et 
sur lesquels il faut s'opiniâtrer. Mais, soit que Napoléon comptât trop 
sur l'ascendant de son génie, sur la force de son armée et sur la 
faiblesse d'Alexandre; ou qu'envisageant ce qu'il laissait derrière lui, il 
crût une guerre si lointaine trop dangereuse à faire lentement et
méthodiquement; soit, comme lui-même va le dire, incertitude sur le 
succès de son entreprise, il négligea ou n'osa point encore se décider à 
proclamer la libération du pays qu'il venait affranchir. 
Et cependant il avait envoyé un ambassadeur à sa diète. Lorsqu'on lui 
fit observer cette contradiction, il répliqua «que cette nomination était 
un acte de guerre, qui ne l'engageait que pour la guerre, tandis que ses 
paroles l'engageraient et pour la guerre et pour la paix.» Aussi ne 
l'a-t-on entendu répondre à l'enthousiasme lithuanien que par des 
paroles évasives, tandis qu'on l'a vu attaquer Alexandre corps à corps 
jusque dans Moskou. 
Il négligea même de nettoyer les provinces polonaises du sud des 
faibles armées ennemies qui contenaient leur patriotisme, et de s'assurer, 
par leur insurrection fortement organisée, une base solide d'opération. 
Accoutumé aux voies courtes, à des coups de foudre, il voulut s'imiter 
lui-même, malgré la différence des lieux et des circonstances: car telle 
est la faiblesse de l'homme, qu'il se conduit toujours par imitation, ou 
des autres, ou de lui-même, c'est-à-dire, dans ce dernier cas, celui des 
grands hommes, par l'habitude, qui n'est qu'une imitation de soi-même; 
aussi est-ce par leur côté le plus fort que ces hommes extraordinaires 
périssent! 
Celui-ci s'en remit au destin des batailles. Il s'était préparé une armée 
de six cent cinquante mille hommes: il crut que c'était avoir assez fait 
pour la victoire. Il attendit tout d'elle. Au lieu de tout sacrifier pour 
arriver à cette victoire, c'est par elle qu'il voulut arriver à tout: il s'en 
servit comme d'un moyen, quand elle devait être son but. Il la rendit 
ainsi trop nécessaire: elle ne l'était déjà que trop. Mais il lui confia tant 
d'avenir,    
    
		
	
	
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