liaison de ces deux principes si 
divisés et si unis[15]. C'est ainsi que Descartes tourne autour de son 
être, et examine tout ce qui le compose. Nourri d'idées intellectuelles, et 
détaché de ses sens, c'est son âme qui le frappe le plus. Voici une 
pensée faite pour étonner le peuple, mais que le philosophe concevra 
sans peine. Descartes est plus sûr de l'existence de son âme que de celle 
de son corps. En effet, que sont toutes les sensations, sinon un 
avertissement éternel pour l'âme qu'elle existe? Peut-elle sortir hors 
d'elle-même sans y rentrer à chaque instant par la pensée? Quand je 
parcoure tous les objets de l'univers, ce n'est jamais que ma pensée que
j'aperçois. Mais comment cette âme franchit-elle l'intervalle immense 
qui est entre elle et la matière? Ici Descartes reprend son analyse et le 
fil de sa méthode. Pour juger s'il existe des corps, il consulte d'abord 
ses idées. Il trouve dans son âme les idées générales d'étendue, de 
grandeur, de figure, de situation, de mouvement, et une foule de 
perceptions particulières. Ces idées lui apprennent bien l'existence de la 
matière, comme objet mathématique, mais ne lui disent rien de son 
existence physique et réelle. Il interroge ensuite son imagination. Elle 
lui offre une suite de tableaux où des corps sont représentés; sans doute 
l'original de ces tableaux existe, mais ce n'est encore qu'une probabilité. 
Il remonte jusqu'à ses sens. Ce sont eux qui font la communication de 
l'âme et de l'univers; ou plutôt ce sont eux qui créent l'univers pour 
l'âme. Ils lui portent chaque portion du monde en détail; par une 
métamorphose rapide, la sensation devient idée, et l'âme voit dans cette 
idée, comme dans un miroir, le monde qui est hors d'elle. Les sens sont 
donc les messagers de l'âme. Mais quelle foi peut-elle ajouter à leur 
rapport? Souvent ce rapport la trompe. Descartes remonte alors jusqu'à 
Dieu. D'un côté, la véracité de l'Être suprême; de l'autre, le penchant 
irrésistible de l'homme à rapporter ses sensations à des objets réels qui 
existent hors de lui: voilà les motifs qui le déterminent, et il se ressaisit 
de l'univers physique qui lui échappoit. 
Ferai-je voir ce grand homme, malgré la circonspection de sa marche, 
s'égarant dans la métaphysique, et créant son système des idées innées? 
Mais cette erreur même tenoit à son génie. Accoutumé à des 
méditations profondes, habitué à vivre loin des sens, à chercher dans 
son âme ou dans l'essence de Dieu, l'origine, l'ordre et le fil de ses 
connoissances, pouvoit-il soupçonner que l'âme fût entièrement 
dépendante des sens pour les idées? N'étoit-il pas trop avilissant pour 
elle qu'elle ne fût occupée qu'à parcourir le monde physique pour 
ramasser les matériaux de ses connoissances, comme le botaniste qui 
cueille ses végétaux, ou à extraire des principes de ses sensations, 
comme le chimiste qui analyse les corps? Il étoit réservé à Locke de 
nous donner sur les idées le vrai système de la nature, en développant 
un principe connu par Aristote et saisi par Bacon, mais dont Locke n'est 
pas moins le créateur, car un principe n'est créé que lorsqu'il est 
démontré aux hommes. Qui nous démontrera de même ce que c'est que
l'âme des bêtes? quels sont ces êtres singuliers, si supérieurs aux 
végétaux par leurs organes, si inférieurs à l'homme par leurs facultés? 
quel est ce principe qui, sans leur donner la raison, produit en eux des 
sensations, du mouvement et de la vie? Quelque parti que l'on embrasse, 
la raison se trouble, la dignité de l'homme s'offense, ou la religion 
s'épouvante. Chaque système est voisin d'une erreur; chaque route est 
sur le bord d'un précipice. Ici Descartes est entraîné, par la force des 
conséquences et l'enchaînement de ses idées, vers un système aussi 
singulier que hardi, et qui est digne au moins de la grandeur de Dieu. 
En effet, quelle idée plus sublime que de concevoir une multitude 
innombrable de machines à qui l'organisation tient lieu de principe 
intelligent; dont tous les ressorts sont différents, selon les différentes 
espèces et les différents buts de la création; où tout est prévu, tout 
combiné pour la conservation et la reproduction des êtres; où toutes les 
opérations sont le résultat toujours sûr des lois du mouvement; où 
toutes les causes qui doivent produire des millions d'effets sont 
arrangées jusqu'à la fin des siècles, et ne dépendent que de la 
correspondance et de l'harmonie de quelque partie de matière? 
Avouons-le, ce système donne la plus grande idée de l'art de l'éternel 
géomètre, comme l'appeloit Platon. C'est ce même caractère de 
grandeur que l'on a retrouvé depuis dans l'harmonie préétablie de 
Leibnitz, caractère plus propre que tout autre à séduire les hommes de 
génie, qui aiment mieux voir tout en un instant dans une grande idée, 
que de se traîner sur des détails d'observations et sur quelques vérités 
éparses    
    
		
	
	
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