les effets particuliers. Ne
craignons pas de l'avouer, Descartes a tracé un plan trop élevé pour
l'homme; ce génie hardi a eu l'ambition de connoître comme Dieu
même connoît, c'est-à-dire par les principes: mais sa méthode n'en est
pas moins la créatrice de la philosophie. Avant lui, il n'y avoit qu'une
logique de mots. Celle d'Aristote apprenoit plus à définir et à diviser
qu'à connoître; à tirer les conséquences, qu'à découvrir les principes.
Celle des scolastiques, absurdement subtile, laissoit les réalités pour
s'égarer dans des abstractions barbares. Celle de Raimond Lulle n'étoit
qu'un assemblage de caractères magiques pour interroger sans entendre,
et répondre sans être entendu. C'est Descartes qui créa cette logique
intérieure de l'âme, par laquelle l'entendement se rend compte à
lui-même de toutes ses idées, calcule sa marche, ne perd jamais de vue
le point d'où il part et le terme où il veut arriver; esprit de raison plutôt
que de raisonnement, et qui s'applique à tous les arts comme à toutes
les sciences.
Sa méthode est créée: il a fait comme ces grands architectes qui,
concevant des ouvrages nouveaux, commencent par se faire de
nouveaux instruments et des machines nouvelles. Aidé de ce secours, il
entre dans la métaphysique. Il y jette d'abord un regard. Qu'aperçoit-il?
une audace puérile de l'esprit humain, des êtres imaginaires, des
rêveries profondes, des mots barbares; car, dans tous les temps,
l'homme, quand il n'a pu connoître, a créé des signes pour représenter
des idées qu'il n'avoit pas, et il a pris ces signes pour des connoissances.
Descartes vit d'un coup d'oeil ce que devoit être la métaphysique. Dieu,
l'âme, et les principes généraux des sciences, voilà ses objets[14]. Je
m'élève avec lui jusqu'à la première cause. Newton la chercha dans les
mondes; Descartes la cherche dans lui-même. Il s'étoit convaincu de
l'existence de son âme; il avoit senti en lui l'être qui pense, c'est-à-dire
l'être qui doute, qui nie, qui affirme, qui conçoit, qui veut, qui a des
erreurs, qui les combat. Cet être intelligent est donc sujet à des
imperfections. Mais toute idée d'imperfection suppose l'idée d'un être
plus parfait. De l'idée du parfait naît l'idée de l'infini. D'où lui naît cette
idée? Comment l'homme, dont les facultés sont si bornées, l'homme qui
passe sa vie à tourner dans l'intérieur d'un cercle étroit, comment cet
être si foible a-t-il pu embrasser et concevoir l'infini? Cette idée ne lui
est-elle pas étrangère? ne suppose-t-elle pas hors de lui un être qui en
soit le modèle et le principe? Cet être n'est-il pas Dieu? Toutes les
autres idées claires et distinctes que l'homme trouve en lui ne
renferment que l'existence possible de leur objet: l'idée seule de l'être
parfait renferme une existence nécessaire. Cette idée est pour Descartes
le commencement de la grande chaîne. Si tous les êtres créés sont une
émanation du premier être, si toutes les lois qui font l'ordre physique et
l'ordre moral sont, ou des rapports nécessaires que Dieu a vus, ou des
rapports qu'il a établis librement, en connoissant ce qui est le plus
conforme à ses attributs, on connoîtra les lois primitives de la nature.
Ainsi la connoissance de tous les êtres se trouve enchaînée à celle du
premier. C'est elle aussi qui affermit la marche de l'esprit humain, et
sert de base à l'évidence; c'est elle qui, en m'apprenant que la vérité
éternelle ne peut me tromper, m'ordonne de regarder comme vrai tout
ce que ma raison me présentera comme évident.
Appuyé de ce principe, et sûr de sa marche, Descartes passe à l'analyse
de son âme. Il a remarqué que, dans son doute, l'étendue, la figure et le
mouvement s'anéantissoient pour lui. Sa pensée seule demeuroit; seule
elle restoit immuablement attachée à son être, sans qu'il lui fût possible
de l'en séparer. Il peut donc concevoir distinctement que sa pensée
existe, sans que rien n'existe autour de lui. L'âme se conçoit donc sans
le corps. De là naît la distinction de l'être pensant et de l'être matériel.
Pour juger de la nature des deux substances, Descartes cherche une
propriété générale dont toutes les autres dépendent: c'est l'étendue dans
la matière; dans l'âme, c'est la pensée. De l'étendue naissent la figure et
le mouvement; de la pensée naît la faculté de sentir, de vouloir,
d'imaginer. L'étendue est divisible de sa nature; la pensée, simple et
indivisible. Comment ce qui est simple appartiendroit-il à un être
composé de parties? comment des milliers d'éléments, qui forment un
corps, pourroient-ils former une perception ou un jugement unique?
Cependant il existe une chaîne secrète entre l'âme et le corps. L'âme
n'est-elle que semblable au pilote qui dirige le vaisseau? Non; elle fait
un tout avec le vaisseau qu'elle gouverne. C'est donc de l'étroite
correspondance qui est entre les mouvements de l'un et les sensations
ou pensées de l'autre, que dépend la

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