Correspondance, 1812-1876 - Tome 1 | Page 8

George Sand
peines que vous avez prises
pour moi. J'ai été si occupée, si dérangée, et vous êtes si bonne et si indulgente, que
j'espère ma grâce.
Vous avez bien voulu courir pour vous occuper de ma toilette et de celle de Maurice. Ces
emplettes étaient charmantes et font l'admiration _d'un chacun_ dans le pays. Quant à la
parure d'or mat, je nomme Casimir pour l'aimable présent, et vous pour le bon goût. Il
m'a empêchée jusqu'à présent de vous écrire, disant qu'il voulait s'en charger. Mais ses
vendanges l'occupent à tel point, que je me fais l'interprète de sa reconnaissance. C'est un
sentiment que nous pouvons bien avoir en commun. Agréez-la et croyez-la bien sincère.
Vous nous avez mandé que vous étiez souffrante d'un rhume. Je crains que le froid
piquant qui commence à se faire sentir ne contribue pas à le guérir. J'en souffre bien aussi
et je commence l'hiver par des douleurs et des rhumatismes. Pour éviter pourtant d'être
aussi maltraitée que l'année dernière, je me couvre de flanelle, gilet, bas de laine. Je suis
comme un capucin (à la saleté près) sous un cilice. Je commence à m'en trouver bien et à
ne plus sentir ce froid qui me glaçait jusqu'aux os et me rendait toute triste.
Ayez aussi bien soin de vous, ma chère maman; à mon tour, je vais vous prêcher.
Maurice, grâce à Dieu, annonce une santé robuste. Il est grand, gros et frais comme une
pomme. Il est très bon, très pétulant, assez volontaire quoique peu gâté, mais sans
rancune, sans mémoire pour le chagrin et le ressentiment. Je crois que son caractère sera
sensible et aimant, mais que ses goûts seront inconstants; un fonds d'heureuse
insouciance lui fera, je pense, prendre son parti sur tout assez promptement. Voilà ses
qualités et ses défauts, autant que je puis en juger, et je tâcherai d'entretenir les unes et
d'adoucir les autres. Quant à Léontine[1], vous la verrez. Elle était charmante entre mes
mains. Je savais la prendre. J'ai eu beaucoup de chagrin à me séparer d'elle et je
m'inquiète de son voyage. Je sens qu'elle me manque et je crains qu'elle ne soit pas aussi
bien qu'avec moi.
Hippolyte vous dira que nous attendons le retour de James avec sa femme; mais il ne
vous dira peut-être pas les folies qu'il faisait toute la journée ici avec son _ancien_, son
commandant Duplessis[2]. J'aurais bien envie de vous régaler d'une certaine histoire de
_portemanteau_, si je ne craignais de vous fatiguer de ces enfantillages. Vous pourrez
cependant le taquiner vertement, lorsque vous le verrez boire à table, en lui disant:
_Est-ce que tu as envie de faire ton portemanteau aujourd'hui?_ C'est le mot d'ordre, et
vous obtiendrez sa confession.
Adieu, ma chère maman. Clotilde est donc décidément grosse? j'en suis ravie. Caroline
ne m'écrit point. Oscar est-il mieux portant et plus fort? Je vous embrasse bien
tendrement; donnez-moi de vos nouvelles et croyez en vos enfants.
AURORE.
Comment traitez-vous l'ami _vicomte_? Faites-lui mes amitiés sincères, si toutefois vous
êtes contente de lui.
[1] Fille d'Hipolyte Chatiron et nièce de George Sand. [2] Ex-colonel de chasseurs à
cheval, ami du colonel Maurice Dupin, de George Sand et du colonel Dudevant, son beau

père.

XI
A M. CARON, A PARIS
Nohant, 19 novembre 1826.
Mon cher Caron,
Je partage bien sincèrement votre douleur, dont j'apprécie l'amertume. Je sais que vous
étiez le modèle des bons fils et que jamais larmes ne furent plus vraies que les vôtres. Je
n'essayerai point avec vous les vaines et communes consolations qu'on donne en pareil
cas. Si vous êtes comme moi, ces stériles efforts ne feraient qu'aigrir votre chagrin. Sûre
que votre raison vous dit, mieux que moi, toutes les raisons de notre soumission envers
les immuables lois de la destinée, je me bornerai à pleurer avec vous dans toute l'effusion
d'un coeur sincèrement attaché, qui partagera toujours vos plaisirs et vos peines.
Vous avez tort d'ajouter à des regrets trop fondés, des réflexions tristes mais imaginaires.
Vous dites que cette perte vous laisse seul sur la terre. Sans doute, rien ne remplace une
bonne mère; mais il vous reste de vrais amis. Vous êtes fait pour en avoir, et vous savez,
j'espère, que vous en possédez de bien vrais dans Casimir et dans sa femme. Je regrette
de n'être pas auprès de vous pour vous détourner de ces noires idées, et vous prouver qu'il
est encore des coeurs qui s'intéressent à vous.

XII
A MADAME MAURICE DUPIN CHEZ MADAME GAZAMAJOU, A
CHARLEVILLE (ARDENNES)
23 décembre 1826.
Ma chère maman,
Vous m'avez laissée bien longtemps sans nouvelles de vous, et j'ai moi-même attendu
bien longtemps à vous remercier de votre lettre. Mais j'ai été si souffrante, et je le suis
encore tellement, que j'ai bien de la peine à écrire. Ma
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