Correspondance, 1812-1876 - Tome 1 | Page 9

George Sand
santé se ressent du mois de
décembre, et j'ai des maux de poitrine qui m'épuisent; je n'ai ni sommeil ni appétit. Tout
me dégoûte, et je ne trouve de bon que l'eau claire, qui ne m'engraisse pas, comme vous
pensez bien. La nuit, j'ai des oppressions insupportables, mon drap me semble peser cent
livres, et je suis réduite à regarder les étoiles au lieu de dormir. Tout cela est fort
ennuyeux, mais je ne perds pas courage. C'est un temps à passer. Depuis trois ans, l'hiver
m'est très contraire, et le printemps me ramène la santé. J'attends cette douce saison avec
impatience.
Vous avez bien raison de quitter Paris, où l'on se tue, où l'on se vole, où l'on est moins en
sûreté qu'au milieu de la forêt Noire. Caroline doit se trouver bien heureuse de votre
compagnie, et ne plus regretter Paris. Oscar vous distrait et vous intéresse. J'ai grande
impatience de le revoir, il doit être bien grandi et bien avancé. Maurice est beau comme
un ange. Madame Duplessis raffole de lui. Il dit aussi une foule de belles choses dans le
plus singulier patois _béricho-gascon_ qui se soit jamais entendu. Vous l'aimerez aussi,
outre la parenté, car il a un charmant caractère.
Le pauvre vicomte doit s'ennuyer à périr de votre absence. Vous l'avez laissé bien
cruellement, à ce qu'il me semble. C'est votre usage; mais s'accoutume-t-on aux rigueurs?
Vous prétendez qu'il s'endort. Moi, je suis bien sûre qu'il médite ou qu'il tombe dans une
mélancolie qui ressemble peut-être bien au sommeil; mais je parie que ce sont des soupirs

que vous interprétez comme des ronflements dans votre cruauté.
Permettez-moi de vous embrasser, ma chère maman, et de vous souhaiter mille
prospérités et une bonne santé surtout. Adieu, donnez-moi un peu plus souvent de vos
nouvelles; embrassez pour moi ma soeur. Mes amitiés à Cazamajou[1], je vous en prie.
Casimir vous baise les mains.
[1] Beau-frère de George Sand.

XIII
A M. HIPPOLYTE CHATIRON, A PARIS
Nohant, mars 1827
Ce que tu me dis de St... me fait beaucoup de peine; Il ne veut soigner ni sa santé ni ses
affaires, et n'épargne ni son corps ni sa bourse. Qui pis est, il se fâche des bons conseils,
traite ses vrais amis de docteurs et les reçoit de manière à leur fermer la bouche. Je savais
tout cela bien avant que tu me le dises, et j'avais été, avant toi, bourrée plus d'une fois de
la bonne manière.
Je ne m'en suis jamais fâchée, parce que je sais que son caractère est ainsi fait et que,
puisque j'ai de l'amitié pour lui, connaissant ses défauts, je ne vois pas de motif à la lui
retirer maintenant qu'il suit sa pente. Cette découverte a dû te refroidir, je le conçois.
Votre amitié n'était encore qu'une liaison mal affermie, attendant tout de l'avenir et ne
recevant rien du passé. Sans doute, à ta place, trouvant cette âpreté de caractère chez
quelqu'un que j'aurais jugé tout différent, j'aurais comme toi rabattu beaucoup du cas que
j'en faisais.
Quant à moi, je voudrais pouvoir cesser de l'aimer, car ce m'est un continuel sujet de
peines que de le voir en mauvais chemin et toujours refusant de s'en apercevoir. Mais on
doit aimer ses amis jusqu'au bout, quoi qu'ils fassent, et je ne sais pas retirer mon
affection quand je l'ai donnée. Je prévois que St..., avec les moyens de parvenir, n'arrivera
jamais à rien. Je le prévois même depuis longtemps. Cette famille est fort décriée dans le
pays et à trop juste titre. St... a beaucoup des défauts de ses frères, et c'est tout ce qu'on
connaît de lui; car ses qualités, qui sont grandes et belles, celles d'une âme fortement
trempée, capable de grandes vertus et de grandes erreurs, ne sont pas de nature à sauter
aux yeux des indifférents et à être goûtées autrement qu'à l'épreuve.
On me saura toujours mauvais gré de lui être aussi attachée, et, bien qu'on n'ose me le
témoigner ouvertement, je vois souvent le blâme sur le visage des gens qui me forcent à
le défendre. Je ne retirerai donc de lui rien qui puisse flatter ma vanité; peut-être, au
contraire, aura-t-elle beaucoup à souffrir de sa condition. Je craindrais, en examinant trop
attentivement les taches de son caractère, de me refroidir sous ce prétexte, mais
effectivement de céder à toutes ces considérations d'amour-propre et d'égoïsme qui font
qu'on rapporte tout à soi, et qu'on devrait fouler aux pieds.
St... me sera toujours cher, quelque malheureux qu'il soit. Il l'est déjà, et plus il le
deviendra, moins il inspirera d'intérêt, telle est la règle de la société. Moi, du moins, je
réparerai autant qu'il sera en moi ses infortunes. Il me trouvera quand tous les autres lui
tourneraient le dos, et, dût-il tomber aussi
Continue reading on your phone by scaning this QR Code

 / 109
Tip: The current page has been bookmarked automatically. If you wish to continue reading later, just open the Dertz Homepage, and click on the 'continue reading' link at the bottom of the page.